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Mémoires d'un apathique
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17 août 2007

Pseudo-intimité

Comme on l'a vu au numéro presque précédent, il est assez difficile de pratiquer une critique un tant soit peu globalisante, parce que tout film serait unique, microcosme qu'il serait vain de comparer à un autre et dans lequel il serait absurde de chercher des régularités. Jourde en faisait déjà la remarque pour la critique livresque : taisez-vous à moins d'avoir lu tous les livres d'un auteur et d'en faire des citations in extenso. Dans le cas fort improbable où ce serait le cas, on vous accusera d'être maso et/ou de cracher dans la soupe. Terrorisme intellectuel fondé sur une soi-disante singularité. Appliquée à d'autres domaines (l'Histoire, par exemple), on voit bien que ce genre d'attitude interdirait purement et simplement de faire émerger une once d'intelligibilité.

L'idée centrale dans cet article, certes foutraque (mais je progresse toujours par association d'idées), c'est que l'intimité est ce qu'il y a de moins personnel, et qu'appliquée au cinéma, cette position (la mienne) tend à démontrer que la dite intimité est une sorte de référentiel de second ordre, référentiel qui verse rapidemment dans la collection de clichés et l'académisme.

Je vais essayer d'être plus clair. L'intimité (la vraie intimité) et les affects associés sont à mon sens infilmables. Parce qu'ils ne font pas sens, parce que l'impondérable agitation des sentiments est justement impondérable, et au sens strict immontrable. Quiconque a par exemple vécu une scène de rupture amoureuse sait bien qu'il s'agit d'un chaos quasi incompréhensible. Ou pas de chaos du tout. Ou des chaos sans comparaison possible de l'un à l'autre. Séries de non-dits, de mutismes, alternant avec des explosions non-signifiantes. On est en présence de singularités  brouillonnes d'où il  est vain de tenter de faire apparaitre un ordre ou une/des régularités. Versez des liquides colorés inmiscibles dans un récipient et agitez : les formes qui apparaitront seront aléatoires et, d'une certaine manière abstraites. Seule une thérapie pourra, éventuellement, au bout d'un temps plus ou moins long, permettre de retrouver les lignes de force au sein du chaos. Mais le cinéma (ou la littérature) ne relèvent pas du même domaine que la thérapie.

Or, le chaos ne fait pas bon ménage avec la représentation. A mon sens, le seul moyen de filmer la progression des affects, serait une caméra cachée. Mais on obtiendrait quelque chose de tellement incontrôlé que c'en deviendrait incompréhensible. Et pour tout dire, ennuyeux. Il semble qu'il faille dans la représentation qu'un minimum de sens apparaisse. A moins de verser dans l'expérimental, exercice extrèmement périlleux, courageux et au final totalement casse-gueule (Les Idiots sont une des rares réussite en la matière).

Comme, pour des raisons qu'il serait interessant d'interroger, la représentation des affects et/ou de l'intimité est quasi indispensable au cinéma, on se retrouve avec l'obligation de produire quelque chose de cohérent et de compréhensible à partir de ce chaos. Ne fut-ce que pour des raisons d'identification, il est presque nécessaire que le spectateur sache plus ou moins quelles sont les motivations et/ou la psychologie des protagonistes. Généralement, on n'est pas dans du Guy Maddin où les acteurs semblent mus par quelques processus tus au second-plan. 
En pratique, il semble qu'il y ait deux solutions pour se tirer d'affaire : Soit le mélo, soit ce que j'appelerais la pseudo-intimité (entendons-nous bien : il s'agit d'un découpage opératoire ; en pratique, les choses ne sont pas toujours aussi tranchées, et on peut dans un même métrage passer d'une position à une autre, voire adopter une position intermédiaire. Ca arrive, mais c'est rare. Je fais là une tentative d'explication globalisante, générale, ce que tout le monde fait dans la vie réelle quelles que soient les circonstances ; il semble que ce soit une forme d'hérésie dans le cas du cinéma et plus généralement des représentations, disons esthétiques).

Dans le cas du mélo, donc, les affects vont faire sens par hypertrophie. On va les ranger par grandes catégories, et exacerber les dits affects. Comme dans le théatre antique, si on veut. Ce faisant, les protagonistes vont être agis par des archétypes de sentiments, quasi catricaturaux dans leur énormité. Par exemple, quand on y réfléchit cinq minutes, Mama Roma est totalement impensable, irréaliste, pour peu qu'on essaie de le transposer dans la vie réelle avec des personnes normales, qui se comportent comme les gens que nous avons quotidiennement sous les yeux. Ce qui n'a d'ailleurs aucune espèce d'importance : nous sommes dans le domaine de la représentation, donc des codes dramatiques. Et si les dits codes sont à la fois intégrés et partagés par les spectateurs, tout va bien. C'est l'essence même de la représentation. La représentation n'est PAS le réalisme, voire la vérité, mais l'adéquation des codes. Du point de vue du mélo, tout baigne de ce côté là (ce qui n'empêche  évidemment pas qu'il y ait des bons et des mauvais mélos, mais pour le moment on n'interrogera pas les raisons des réussites ou non-réussites).

Deuxième optique : la pseudo intimité (qui est majoritairement à l'oeuvre dans le CFI). Là, et quoi qu'on en prétende, il s'agit de présenter les affects comme réalistes, au contraire du mélo. Une des meilleures preuves qui en soit vient de ce que les critiques soulignent dans ce cas la justesse de l'interpretation, la véracité des situations mises en scène. Or, si comme je l'ai dit, l'intimité est infilmable, on est évidemment confronté au problème que la dite intimité mise en scène est un trompe-l'oeil, un simulacre. Ce qui fait que je l'ai désignée sous le terme de pseudo-intimité. On est toujours et nécessairement dans la mise en scène de codes dramatiques, mais cette utilisation des codes est parasitée par une prétention au vérisme. Au final, la référence n'est PAS la somme des affects réels, mais une série de codes, sans que l'ambiguité soit levée. Ce que je veux dire par là, c'est que lorsque des critiques vous tannent avec la justesse de l'interprétation de X ou Y, il ne s'agit pas de la justesse vis à vis du réel, mais de   l'adéquation vis à vis d'un catalogue d'affects reçus, comme il y a des idées reçues. L'intimité (la pseudo-intimité, en fait) devient alors un sac à clichés qui ravit le spectateur parce que ce sont justement des clichés qu'il s'attend à recevoir (j'ai traité d'ailleurs de cette problématique en long, en large et en travers lors de ma critique du film de HPG). Et je le répète, nous ne sommes pas dans le cas du mélo, car les codes ne sont pas assumés en tant que tels.
Evidemment, on peut se demander pourquoi et comment il peut y avoir un public pour ce genre de représentation. En première instance, on pourrait désigner le narcissisme et le conformisme comme coupables évidents. C'est un sujet de reflexion assez passionnant, mais qu'on va laisser de côté pour le moment. Ce qui m'importe plus, c'est que tout un pan du cinéma (le CFI pour faire court) fonctionne à la pseudo-intimité. Oeuvrant à partir d'un catalogue de clichés non interrogés, il verse inexorablement dans un académisme casse-couille et très chiant puisqu'il faut appeler les choses par leur nom. Comme tous les académismes qui se respectent, il n'est évidemment pas repéré comme tel. Le propre de l'académisme, c'est d'être stigmatisé trois décades après ou par un petit cénacle d'emmerdeurs patentés à l'époque. Ce qui n'est pas , je le concède, une raison nécessaire et suffisante pour désigner le CFI comme académique. Il s'agit juste d'un faisceau d'indices ou de présomptions.

On arrive au bout de cette tentative d'explication. J'ajouterais, disons d'un point de vue politique, que l'utilisation à outrance de ce sac à poncifs procède d'une vue-du-monde pour le moins conservatrice, qui m'est tout à fait insupportable, moralisatrice, gnangnan, et faisant l'apologie de pseudo-sentiments parmi les plus tartes et les endormis qui soient. Le CFI, de ce point de vue là, est une apologie du statu quo, à mon sens dix fois plus nocive que l'espèce de bushisme couillu qui se déploie dans les productions Brukheimer, par exemple. Bons sentiments (au sens strict du terme), affects prévisibles ne font que renforcer (au besoin en la copiant) la bénévolence prout-prout distillée par la télé.

Alors évidemment, on pourra me reprocher de parler dans le vide, dans l'absolu, sans me réferrer à des exemples précis, et untel pourra toujours me dire que Comment je me suis disputé ma carte visa (ou un autre) n'est pas du tout comme ça, et que non, d'abord, c'est vachement différent et authentique. Je dirais simplement que je ne vais pas me fader 10 ans de cinéma pete-couilles pour arriver à la conclusion que, comme prévu, j'avais raison (sauf pour les traditionnels 10% d'exceptions). Et pourquoi aurais-je donc raison ? Essentiellement parce que cet académisme de la pseudo-intimité est un phénomène structurel, historico-social, qu'il n'est pas apparu par hasard, et que sa bonne santé n'est pas dûe non plus au hasard. Pour simplifier, disons qu'il y a un public qui réclame ça, de l'argent injecté pour produire ça, des réalisateurs formatés pour ça dans les écoles ad hoc. Tenter de comprendre le faisceau de nécessités qui génère le CFI m'obligerait à me pencher sur la désirabilité de la pseudo-intimité - et donc la désirabilité du normatif qu'elle sous-tend. Ce site est parsemé de fragments de tentatives d'explications, mais il n'est pas certain qu'on puisse en tirer un schème cohérent. De plus, ce qui m'interesse, ce sont les irrégularités, les exceptions, et il serait un peu fastidieux de trouver le pourquoi et le comment de la régularité, régularité inutile, inutile d'un point de vue esthétique.

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