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Mémoires d'un apathique
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15 août 2007

Oralité

Je pense avoir été suffisamment pénible avec  mes constantes tergiversations autour  du thème de l'oralité en littérature. Queneau a écrit des choses fort interessantes sur le sujet (et les a d'ailleurs mises en pratique). En substance, selon lui, on ne peut pas rendre le langage parlé à l'écrit ; dans le meilleur des cas, on pratique une sorte d'adaptation, un peu de même nature que  la traduction. L'oralité, serait, en gros, un genre en soi, exercice périlleux qui demande un talent absolument pas considéré à sa juste valeur. Pratique extremement casse-gueule qui débouche à la fois sur des catastrophes littéraires, et/ou sur un mépris des gens qui parlent. D'où, par exemple, au cinéma, des dialogues faussement improvisés (comme si les gens improvisaient), sur de la mauvaise littérature, de la littérature littéraire ou sur des niaiseries codifiées, façon au théatre ce soir. En fait, il faut un peu raffiner le propos (comme on raffine le pétrole) : en fait, les gens improvisent bien. Mais à la façon d'un jazzman : à partir d'un fond de travail, de gammes indéfiniment répétées, de patterns, de standards, jusqu'à ce qu'en sorte - éventuellement - de petites merveilles de phrasé.

Il ne s'agit pas juste d'élucubrations de ma part, d'un délire théorique de crâne d'oeuf.

J'y étais.

Dans un wagon de métro, trois jeunes types qui discutaient de leurs conditions de travail. Si j'ai bien compris, ils étaient stagiaires chez Clément (une chaine de resto, une franchise) où ils devaient être commis de cuisine ou quelque chose comme ça. Niveau CAP me semble-t-il. Peut-etre BAC, je ne sais pas trop. Mais pas le genre à être invités à une émission littéraire. Or, ces représentants archétypiques de la France-d'en-bas (suivant les criteres de Libé) employaient une langue chatoyante, inventive et riche, la digne descendante de celle qui avait émerveillé Queneau à l'époque. Un festival de grands huit, de trouvailles, de raccourcis surprenants, toute l'extraordinaire fécondité de la langue populaire se déployait là, sous mes yeux (et mes oreilles) éblouis. Les vieux cons qui se lamentent et diagnostiquent un affadissement du français ne doivent jamais avoir laisser trainé leurs pavillons du côté du métropolitain, de KFC ou d'un rade de quartier. J'étais subjugué. J'avais presque envie de les embrasser, les trois gusses. Du réservoir sortaient des expressions polies jusquà la perfection par l'usage, le gout de la formule, l'envie de métamorphoser une banalité en quelque pétaradante sentence. Le génie de la langue devait être ce réservoir, cette mer sans limite où, tels des poissons soumis à des manipulations génétiques, les phrases n'attendaient plus qu'a être péchées par quelque nonchalant passant.

Ce n'était pas tant cette forme d'impureté ou d'immaturité chère à Gombrowicz qu'une réelle inventivité collective. Et, moi qui ait un sens du collectif proche du négatif, j'étais comme amoureux, avec ce vague sentiment d'exclusion - celui de l'amoureux justement. Mais je savais aussi que j'étais partie prenante de ce bouillonnement, et que rien ne s'opposait à une incursion dans ce territoire enchanté.   

Il y a peu d'exemples où j'ai pu être ainsi frappé par la beauté du social. Expression un peu prout-prout, je le concède. Mais je n'en ai pas trouvé de meilleure.

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