Signe particulier
Quand j'avais 8 ou 10 ans, je me suis rendu compte que ma carte d'identité ou je ne sais plus quelle pièce administrative du même acabit comportant à la ligne signe particulier : aucun. Je fus assez vexé, car à l'époque, j'en avais un, de signe particulier : une tache de naissance brun foncé qui, avec ma croissance, s'était dilatée et avait pâli, donnant, de ce fait, toujours l'impression que j'avais le cou sale, du côté droit.
Et puis, un signe particulier, c'était toujours ce que possédaient les héros : une marque en forme d'étoile qui permettait à la reine de France de reconnaître dans ce paysan couvert de chaînes le fils illégitime qu'elle avait eu avec Richard Coeur de Lion. Ne pas posséder ce signe d'élection, c'était faire partie de la masse indifférenciée des interchangeables. Bien entendu, je n'avais pas aussi bien articulé mon argumentaire à l'époque, mais je sentais bien que me dénier ce signe particulier revenait à me dépouiller de quelque chose d'une extrême importance.
Lorsque je protestai, ma mère m'expliqua que c'était à cause de signes particuliers qu'on identifiait les résistants pendant la guerre. Raison au moins aussi romanesque et qui m'emplit d'une certaine fierté. Je lui pardonnait donc.
J'examinais tout à l'heure ma fille sous toutes les coutures. Aucun signe particulier. Et si ç'avait été le cas, l'aurais-je déclaré ? Bien sûr que non. On ne sait jamais de quoi demain sera fait.
Maman avait raison.