Venus d'ailleurs
Comme essaient de le faire croire quelques méchants critiques à l'argumentation un peu courte, la (très relative) vogue actuelle des nanars n'est pas un simple snobisme.
Non.
C'est d'abord une réaction bien légitime à l'ennui généré par une production cinématographique académique, et donc à la fois chiante et sans surprise. Certes, il y a, je le crains, un nombre malheureusement croissant de personnes pour qui toute forme de création a pour fonction, avant toute chose, de les rassurer, de les ancrer dans un monde prétendumment mouvant, et surtout de ne pas les prendre à contrepied. C'est le syndrome téléfilm en 35 mm, le blockbuster de bourrin en étant une version plus spectaculaire (mais pas plus imaginative).
Reste toutefois un groupe hétérogène d'amateurs qui ne pensent pas que le cinéma puisse n'avoir qu'un rôle de couverture chauffante ou de charentaises. Et parmi ces derniers, les amateurs de nanars, qui, contrairement à ce qu'on imagine, ont une culture filmique bien supérieure à n'importe quel lecteur (et même critique) de Télérama. Sans parler du goût.
D'ailleurs, les soirées Bis de la cinémathèque - qui existent depuis 1993 - sont animées par des monstres d'érudition (légèrement en vrille), certes un peu pervers comme le nombre de séances consacrées aux films de prisons de femmes tend à le prouver.
Les amateurs de Bruno Mattei, in fine, appartiendraient à une élite raffinée, rare et sur laquelle la main de Dieu se pose fréquemment.
Cette énorme introduction pour en arriver au fait que Framprix vend en ce moment des DVD à 1.99. Parmi lesquels on trouve essentiellement des bouses honteuses destinées au marché du câble aux USA, marché énorme dont nous n'avons aucun équivalent en France et qui constitue le vivier des néo-nanars (par opposition aux paradigmatiques nanars 80's - généralement italiens).
Parmi eux, Venus d'ailleurs (Them), à la VF monolithique assurée par Pipo, René et ses cousins. De prime d'abord, il ne pourrait s'agir que d'une sympathique nazerie sans cachet particulier, puisqu'on est en présence d'un décalque de la série Les envahisseurs : des extra-terrestres patibulaires ont sournoisement infiltré notre planête et quelques allumés qui les ont vu essaient de convaincre un monde incrédule. Contrairement à la série, il ne s'agit plus d'une parabole sur les dangers du communisme, mais sur ceux que font courir à la planête des aliens foncièrement méchants dont on ne connaitra jamais précisemment les motivations exactes.
Réalisée par un tâcheron de la télé, cette production présente toutes les caractéristiques classiques du Z (disons du Y) : scénario à la fois navrant et confus, acteurs inexpressifs, décors minables, effets spéciaux calamiteux, personnages insupportables (le kid qui écoute du hard-rock alors que son oncle lui est fan de country - « c'est le sang de l'amérique » - ce qui donne lieu à de pénibles disputes pour savoir qui va avoir le contrôle de l'autoradio en bagnole).
Rien que du balisé, qui, a priori, n'a rien pour emporter l'adhésion, et qui risque même de faire basculer le métrage dans l'ennuyeux et le franchement mauvais.
Comme souvent dans ce genre, la petite étincelle qui lui permet de sortir du lot provient d'un élement purement contingent. En d'autre termes, c'est un peu par hasard, par accident, que Venus d'ailleurs peut prétendre au titre de nanar gouleyant. Ce qui n'a rien de honteux, puisqu'après tout Maiakovski restait tout émerveillé par ses fautes de frappe à la machine et leurs potentialités poétiques (depuis le temps que j'essaie de le placer, celui-là).
En fait, il ne s'agit pas d'un film à proprement parler, mais de deux épisodes d'un pilote TV non retenu et (mal) remontés pour en faire un métrage de 90'.
Dit comme cela, ça n'a l'air de rien, mais ce passif de série TV explique pourquoi certaines péripéties ne sont pas clairement explicitées, étant donné qu'elles auraient du l'être dans les épisodes suivants. D'où un côté surréaliste, poétique, et quelque peu onirique. Pas moins. Qui transforme une bourrinade peu inspirée a priori en une chose assez succulente pour peu qu'on en accepte la délicate incohérence. Laquelle se retrouve dans certains dialogues à contre-temps, sans qu'on sache ce qui motive cet état de fait (dans le sens où ils auraient quand même du être « normaux » au sein d'un épisode).
Le plus délectable n'apparait qu'au fur et à mesure : a priori, les aliens ne sont qu'une avant-garde destinée à préparer l'arrivée de troupes plus nombreuses. Ce qui parait assez logique et respectable. L'ennui, comme nous n'avons que les deux premiers épisodes, c'est que la masse de l'armée extra-terrestre reste très théorique, et que, par conséquent, la terre est en train d'être envahie par 5 (cinq) extra-terrestres, dont une pouffe en tenue de dominatrice. Et à mesure que le métrage avance, le côté ubuesque de la situation apparait au grand jour, et rappelle irresistiblement Plan 9 from outer space (c'est le même pitch, finalement, sauf que dans Plan 9, les 4 (quatre) aliens décident d'envahir la planête en « réveillant » 2 (deux) morts - c'est encore pire).
Au final, grâce à son statut batard de série-TV-2-en-1, Venus d'ailleurs accède au panthéon des nanars honorables, voire très réussis (ou plutôt trés ratés) au lieu de se cantonner dans son rôle premier de truc mal torché à petit budget.
Donc, la prochaine fois que vous allez chez Framprix, vous savez ce qu'il vous reste à faire ...