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Mémoires d'un apathique
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20 septembre 2007

Indian toniques

Plutôt que d'ennuyer les gens polis avec mes histoires de dictature du prolétariat, je me dis souvent qu'il vaudrait mieux que je reste chez moi à me dissoudre dans la blême lueur cathodique de ma télé 56 cm (si vous avez plus grand, un don serait le bienvenu).

A regarder des films indiens, par exemple. Ok, vous êtes comme moi, l'espèce d'indi-mania qui sévit actuellement commence à vous les casser légèrement. Tout le monde s'extasie sans le moindre recul et sans le moindre esprit critique. C'est agaçant. Pour 99% du public occidental qui lit le canard très mauvais de la RATP, les films indiens, ce sont des films romantiques en costumes, avec des actrices canons et des danses endiablées. Les actrices canons, je suis pour. Ca change agréablement d'Emanuelle Devos. Mais pour le reste ...

Parce que, comment vous dire, les indiens produisent (loué soit Ganesha !) tous les types de films possibles et imaginables. On peut même avancer qu'ils copient le box-office US sans le moindre scrupule. Et avec une totale absence de complexes. C'est d'ailleurs pour ça que je les adore.

Alors quand B'. se pointe chez moi complètement stressée par son boulot et manque éclater en sanglots dans mes bras musculeux, je l'entraine faire un petit tour. Qui nous amène à Tamoul-land. C'est ce qui est arrivé ce week-end, et ça convient parfaitement à mon propos. Où l'on peut dégotter plein de DVD à 2 euros (à Tamoul-land, pas à mon propos).

A ce prix là, vous vous doutez bien qu'il ne s'agit pas de chefs d'oeuvre du 7ème art. Mais justement, c'est le but de la manoeuvre. D'acheter de la série B, voire Z, indienne. Des films qui font honte au collègue pondichérien de B'. qui se demande pourquoi donc sa voisine de bureau se repait de ces bouses sans nom. Un peu comme s'il achetait des galettes Eurociné. Ce qu'il m'arrive de faire, notez bien.

J'en ai pris 3. Trois genres différents. Trois films de genre en Hindi (et Tamil).

Tout d'abord Elaan. Qui est une sorte de blockbuster. Mais une sorte, hein. Une sorte. Alors, euh, c'est l'histoire d'un super méchant  qui contrôle le monde entier et essaie d'asservir l'Inde. Jusque là, ça va. Il tue un milliardaire qui refuse son racket. Tout va bien. Le fils du susdit décide alors avec 4 de ses potes et potesses d'aller chercher le bad guy pour le livrer à la justice de son pays. Parce que le méchant, qui est très malin, habite dans un pays étranger d'où il peut commettre ses forfaits en toute impunité. Au début on se dit que ce doit être le Pakistan, mais pas du tout. C'est quelque part en Europe, entre Suisse, Italie et Allemagne. A la fin, il est attrapé (à Sarrebrück !), mais un des gentils meurt (c'est normal : ils sont 5 dont deux couples ; c'est le célibataire qui y passe).

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Nos 5 héros (celui qui meurt est de face)

Ca dure tout de même deux heures et demi, donc je vous conseille de ne pas le regarder tout seul (c'est le cas de tous les films indiens, pour être franc). Comme ça, vous pouvez discuter le bout de gras avec votre partenaire quand le rythme faiblit. Et le moins qu'on puisse dire, c'est qu'il faiblit. Car, voyez-vous, les indiens, les scènes d'action, c'est pas trop leur truc. Ils devraient engager des hongkongais, parce que franchement, c'est difficile de faire des gunfights aussi ratés avec autant de moyens. A tel point qu'on finit par se demander si la représentation de la violence n'est pas une sorte de tabou en Inde, ou si elle n'est pas censurée.

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Pré-gunfight à Venise.

Fort heureusement s'ils ne sont pas très brillants pour les bastons, les indiens sont les dieux du clip en vrille inséré dans le film. Et là, on est gâté : trois perles qui rattrapent avantageusement la mollesse des courses-poursuites.

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Au premier plan, une des deux bombasses. Au fond, le tombeur de ces dames, qui en temps normal porte un bandana rouge.

Evidemment, puisque c'est un nanard (encore qu'on puisse se poser la question, vu le gap culturel), le métrage abonde en scènes succulentes, dont celle de la frontière française où il apparait que la police de notre beau pays est composée de basanés parlant très mal notre idiome et roulant en japonaises bas de gamme.

Ce n'est pas vraiment du brutal, ça se laisse regarder, la naïveté sans complexe de l'ensemble emportant tout de même une franche adhésion.

Arrive ensuite le prodigieux Ghutan qui est de très loin notre préféré. C'est un film d'horreur, mélange de film de zombies, de fantômes japonais et de gothique à la Hammer. Comme quoi, en Inde aussi, on sait bouffer à tous les rateliers.

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J'ai déjà vu ça quelque part mais où ?

D'ailleurs pour dire les choses crûment, il s'agit d'un film d'exploitation. On sent bien qu'en Occident, le métrage aurait été peuplé de filles à poil et inondé sous les litres de sang. Et que le valeureux producteur a vraiment fait tout ce qui était en son pouvoir sans tomber sous le coup de la censure, le top du salace étant l'actrice principale dans un bain plein de mousse dont émergent ses deux épaules.

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Rahh lovely !

Que je vous raconte l'histoire : Un méchant tue sa femme pour 1) épouser sa secretaire 2) hériter de son pognon. Comme elle est très résistante, il est obligé de l'enterrer vivante. Evidemment, elle ressort de la tombe et s'en va tirer les pieds de tout le monde avec une méchanceté qui fait froid dans le dos. Détail amusant, comme les indiens sont généralement incinérés, pour les besoins du film, on met en scène des autochtones chrétiens, ce qui doit être plutôt rare. Inutile de dire que le réalisateur (comme les japonais, d'ailleurs) fantasme complètement la religion apostolique et romaine pour notre plus grand plaisir.

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Alors ça, c'est un presbytère en Inde. On remarquera le joli vitrail.

L'autre détail amusant (le terme est un peu mal choisi, il est vrai), c'est qu'il semble que ce soit un péché véniel que d'enterrer sa femme vivante dans le sous-continent. En effet, notre sympathique milliardaire essaie de raisonner à la fois son ex-femme très abimée et morte-vivante et sa secretaire qui commence à se douter de quelque chose. Et le pire, c'est qu'il y arrive presque ! Et sa future épouse n'a pas l'air d'avoir de scrupules ni d'angoisse à se marier avec un type coupable d'une telle vilénie.

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Merci, Fulci !

Que dire de plus, sinon que, l'un dans l'autre, les scènes d'horreur ne sont pas si mal que ça, et surtout qu'on peut découvrir aux 2/3 du film le prodigieux inspecteur Khan dont il a déjà été question ici.

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Mon héros absolu pour les mois à venir !

Mais il faut être honnête : au delà du scénario incohérent, des acteurs surjouant et des dialogues surréalistes, c'est surtout l'aspect graphique du film qui emporte les suffrages haut la main, et en fait un merveilleux indispensable que les fans de cinéma différent se doivent de posséder.
Petit florilège pour finir en douceur :

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Le traditionnel cimetière éclairé comme la base de Kourou.

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En Inde, les milliardaires habitent dans ce genre de trucs.

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En plus, ils (les milliardaires) portent de somptueuses casquettes. Les super-milliardaires, eux, ont droit à des berets basques.


J'ai gardé pour la fin le très surprenant Devi Maa qui, à mon avis, n'a pas d'équivalent en Occident. Disons que c'est un film pour public très populaire qui rappelle les films de bastons indonésiens ou les films de catcheurs mexicains de la grande époque. On sent à la stupéfiante naïveté de l'ensemble que c'est le genre de production à être projetée dans les villages sur une grande toile tendue pour l'occasion. D'un autre côté, peut-être que je fantasme complètement. A notez que le film est censé être en Tamil, mais étant donné la piètre qualité de la post-synchro, je me demande s'il n'a pas été doublé en Hindi.

Alors c'est quoi ? Ben, une sorte de catéchisme ou plutôt une session de révision où l'on apprend les 2758 noms de la Déesse Durga (si j'ai bien réussi à suivre ce que m'a raconté B'.). La dite déesse est d'ailleurs jouée par une actrice magnifique, comme j'en ai rarement vue (evidemment, et comme d'habitude, les captures d'écran ne rendent pas hommage à sa beauté).

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Durga au téléphone sous son avatar d'institutrice

Mais c'est quoi, alors, l'histoire ? En gros : le chef des démons veut régner sur la terre, comme tout chef des démons qui se respecte.

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Le pétulant chef des démons avec son pyjama spécial démon (notez le petit dessin en jaune). A gauche, le faire-valoir comique.

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Détail piquant : le chef des démons a une coupe de cheveux dite 666 (Apocalypse selon St Jean). Comme quoi le syncrétisme se porte bien.

Mais attention : Durga prépare son prochain avatar en inséminant une femme enceinte (à l'échographie on voit - avec surprise - un trident dans l'utérus de la future maman, le trident étant un des attributs de la divinité). Lequel avatar, une  petite fille, aura le pouvoir, quand elle sera grande, de détruire le chef des démons. Qui le sait et qui va donc essayer de faire disparaître la gamine.

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Pour commencer, Durga s'en prend au faire-valoir comique

D'ailleurs au final, ce n'est pas la fillette, mais la déesse qui tuera le méchant. Mais B'. m'a expliqué que de toute façon, toutes les déesses sont l'incarnation du principe féminin et que donc que ce soit l'une ou l'autre qui fasse le boulot n'a aucune importance.

Il s'agit aussi d'une leçon de morale (assez conservatrice d'un point de vue occidental) : les nouveaux riches sont acculturés et ne croient plus en les anciennes divinités. Durga les remettra sur le droit chemin, et ils pourront sauver leur fille en reprenant leurs dévotions. Par contraste avec cette upper-class soumise aux diktats matérialistes, on a le bon mendiant qui, lui, n'hésite pas à consacrer une partie de ses maigres gains au temple. Où l'on retrouve les mauvais prêtres que devra sermonner la déesse. Bref, du catéchisme ...

Comme d'habitude avec le B indien, l'iconographie est kitschissime. Par exemple un des protagonistes est milliardaire (encore) mais roule dans une sorte de 205 toute pourrie. Sa baraque semble être composée d'une suite de chambres sofitel remplies de peluches jusqu'à la gueule. Et tout à l'avenant.

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Le chef des démons en pleine action

Mais c'est surtout grâce à ses effets spéciaux que ce film laisse sur le cul. Donnez un After Effects à un Tamoul et il vous fera des trucs que même dans vos rêves les plus fous vous n'auriez jamais osé imaginer.

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Le chef des démons en boite. Pardon, dans son antre.

Denué du moindre complexe, le gus des CGI peuple le métrage d'un festival pyrotechnique qui, il faut bien l'avouer, fait parfois un peu mal aux yeux.

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Apparition imminente de la divinité  : de l'effet spécial qui tue.

Et, ça, ça réconcilie avec le cinéma, qui, depuis qu'il est devenu un art en Occident, a tendance à s'imaginer sorti de la cuisse de Jupiter. Les indiens nous rappellent une chose essentielle, mais de plus en plus oubliée : le cinéma c'est avant tout du divertissement.

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La mort du vieux sage : un autre effet spécial qui donne envie d'aller au cinéma.

Devi Maa, c'est du brutal. Le fossé culturel est tel que le concept même du script parait des plus nébuleux au blanc moyen. A réserver donc aux explorateurs les plus endurcis des productions lointaines.

Au terme de cette petite excursion  au pays enchanté de la série B indienne, une conclusion s'impose : d'une certaine manière, la créativité, la fantaisie, le culot existent encore en matière de cinéma. Mais certainement pas là où l'on croit. Et l'on se prend à rêver d'un monde où les écoles de cinéma n'existeraient pas, où de vieux cons n'apprendraient pas à de futurs vieux cons comment tourner des métrages dessechés et où le cinéma seraient irrigué par un imaginaire populaire chatoyant et sans cesse renouvelé. Mais c'est peut-être un pur fantasme post-colonial : les réalisateurs indiens sont peut-être tous passés par la FEMIS locale.

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Commentaires
M
Mais encore ?
S
achhad la3jab ali kayan hnaya malkom awdi 3la had almsakh ita9iw alah
M
Quelle érudition :) ! <br /> Oui, il y a probablement des FEMIS en Inde (y'a pas de raison), mais je doute un peu que les reals des deux derniers films soient passés par là (comme c'était le cas pour les reals italiens du bis des années 80).
P
"Mais c'est peut-être un pur fantasme post-colonial : les réalisateurs indiens sont peut-être tous passés par la FEMIS locale."<br /> <br /> > Peut-être, mais là-bas ça "fonctionne" - i.e. ça reste populaire. Car même si les Bollywood - terme générique, j'y reviens plus loin - sont empreints d'un plus ou moins grand moralisme bon teint (un des baromètre à utiliser étant l'importance du ou des rôles féminins dans le film, un autre étant l'importance des rôles représentatifs d'intouchables, de sikhs, de musulmans, de membres de tribus, etc...) il n'en reste pas moins que les gens réservent pour aller voir des films : des fois plusieurs jours à l'avance, car il y a des files d'attente, même avec des salles de cinéma immenses... Autre petit détail : là où nous voyons dans les Bollywood des clips insérés pour faire rigolo, les indiens y voient des incitations à la fête. D'ailleurs ils ne se gènent pas pour se lever et danser dans la salle, c'est pas le même délire. ;-) Ensuite, le mot "Bollywood" désigne la partie du cinéma indien qui s'exporte, celle produite à Bombay, en langues hindi ou urdu : mais en Inde, on trouve aussi beaucoup de films en telugu ou en tamoul, et autres langues. Pour le tamoul, on parle de Kollywood (origine Chennai, donc Madras, Inde du Sud). Pour le telugu, je ne sais mais c'est aussi en Inde du Sud : il me semble que les studios sont principalement à Hyderabad. Donc il n'y a certainement pas qu'une FEMIS - après une brève recherche Google, il y au moins 3 écoles de cinéma là-bas : Bombay, Pune et Calcutta... Après évidemment, on y applique peut-être toujours les mêmes recettes, comme tu le sous-entends. M'enfin, il me semble que les indiens n'ont pas trop à se forcer pour avoir un "imaginaire populaire chatoyant" : peut-être que pour le renouvellement, c'est pas ça (et encore, il faudrait étudier par exemple comment leurs divinités, ou incarnations, passent et trépassent en l'espace de quelques générations) mais ça suffit largement pour faire la nique aux français... :-)))
M
Waaa ! La vie comme au cinéma (indien) ! C'est comme la lampe d'Aladin sans meme besoin de la frotter ! On reglera les modalités pratiques par mail. <br /> Mais on va recommencer : si vous avez une Jaguar type E, un don serait le bienvenu ...
Mémoires d'un apathique
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