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Mémoires d'un apathique
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14 juin 2007

Dickie on the roof

J'aime bien la définition de Dickie de l'oeuvre d'art :

Une oeuvre d'art est :

  • un artefact
  • un artefact auquel une société ou un sous-groupe d'une société a conféré le statut de candidat à l'appréciation

Il faut reconnaitre de nombreux avantages à la définition de Dickie.

  • D'abord la simplicité de la définition. Son extériorité. Son côté rugueux, pour ne pas dire frustre.
  • Corrolairement, la dédramatisation qu'elle impose. Le pathos se dégonfle.
  • Elle met en lumière l'arbitraire fondamental de toute oeuvre d'art à se prétendre telle, et partant, les enjeux sociaux, de pouvoir, n'ayons pas peur des mots, et d'argent qu'on oublie de distinguer derrière le sublime supposé de toute l'institution.

Evidemment, elle a comme désavantage majeur d'éliminer la critique d'art en tant que discipline pour n'accorder désormais d'attention qu'à la sociologie des institutions. Y. Michaud fait remarquer : Si les oeuvres d'art sont ce que décide le monde mondain de l'art, qu'est-ce qui définit la compétence de ce monde mondain ?  Bonne question.  Une position cynique consisterait à dire qu'il n'y a pas de compétence  qui tienne (compétence artistique d'évaluation, dans ce cas). Ne comptent plus que les jeux de  pouvoirs et/ou d'argent, et donc les compétences mondaines. Il va sans dire que, du fait de l'inertie historique, le problème ne se pose pas pour les oeuvres anciennes (personne ne doute que La Joconde soit une oeuvre d'art), mais pour les oeuvres plus récentes (Koons me vient à l'esprit, allez savoir pourquoi). D'autant qu'en y réfléchissant bien, on peut se poser la même question de la compétence pour toutes les institutions. Pour prendre un exemple trivial, qu'est-ce qui assure la compétence des experts de tout poil, editorialistes multi-cartes qui hantent les media ? Rien, bien sûr. Et pour tout dire, leur compétence (technique, ie : je sais de quoi je parle) est pour le moins douteuse. Qu'on songe aussi aux « qualités » necessaires pour grimper les échelons d'une hiérarchie, quelle qu'elle soit (entreprise ou parti politique). En résumé pourquoi le monde de l'art (collectionneurs, critiques, musées, instances étatiques) échapperait-il à cette défiance vis à vis de la compétence ?

A remarquer que la position de Dickie s'accommode parfaitement de la subjectivité ambiante. Sans instances surplombantes, c'est le règne du j'aime ce que j'aime parce que c'est moi qui décide. Règne illusoire pour deux raisons :

  • Comme je l'ai dit 40000 fois, la subjectivité exacerbée recouvre en général un conformisme tout aussi exacerbé (sans quoi on ne comprendrait pas les effets de mode ou les engouements aberrants)
  • L'offre précède toujours la demande : ne peuvent être appréciées comme oeuvres d'art que ce qui est présenté comme tel (par les instances ad hoc).

Ce refus d'une définition interne de l'oeuvre d'art peut sembler terriblement nihiliste. Surtout si l'on prend le sens qu'a désormais nihiliste, à savoir : personne qui n'accorde aucune attention aux valeurs que je juge essentielles, voire vitales. Il est bien certain que cette absence de sens au sens premier ne fait pas bon ménage avec la réaction tous azimuts que nous subissons (dont les dernières élections sont une démonstration éclatante). Le tout est de prendre la démocratisation (du goût en l'occurence) suffisamment au sérieux, de ne pas se contenter d'oligarchies pour notre bien et de laisser cette subjectivité se déployer, subjectivité dont je me gaussais il y a quelques lignes. Mais il n'y a à mon avis aucune autre alternative en dehors de la reproduction des imposteurs. Si Dickie semble nous dire que la prétention de certains à décréter ce qui est bon ou non n'est qu'en fait qu'un abus de pouvoir, pourquoi encore prêter attention aux contorsions des usurpateurs ? Let's the power fall et occupons-nous d'autre chose.

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Commentaires
M
La boucle est donc bouclée : l'art n'existe pas, sauf chez les gens qui décident qu'il existe ...
P
Oui, a fortiori. En fait la solution n'est jamais dans l'objet. Elle est dans qui décide de sa nature artistique ou non artistique. Et qui en tire du pèze (en général il n'est pas loin).
M
Surtout à partir du moment où des pieces archéologiques deviennent oeuvres d'art pour des raisons mal élucidées.
P
Avoir fait de longues études d'archéologie, et d'histoire de l'art, en séparant bien ce qui relevait de l'une et de l'autre, m'a salutairement et définitivement mis les pendules à l'heure en ce qui concerne ce qui "est de l'art", ce qui "n'en est pas" et surtout "qui décide de ce qui en est ou non".<br /> Pour arriver aux mêmes conclusions que les tiennes, mais plus brutalement encore.<br /> À ce titre une petite exploration de la naissance des concepts d'art (au sens moderne, c'est-à-dire celui du XIXe siècle, ne nous y trompons pas) et d'archéologie est tout à fait éclairante.<br /> Je pourrais parler de ça pendant des heures. Je me contenterai de résumer par une boutade qu'aimait répéter mon vieux prof (défunt) de théorie archéologique : "L'archéologie et l'histoire/critique d'art ont grosso modo le même champ d'action, la différence étant que l'archéologie s'occupe du laid-banal-cassé et l'histoire de l'art du beau-original-récent." Caricatural mais à méditer.
Mémoires d'un apathique
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