Quand on parle de spectacle familial, on pense aussitôt à bonne
grosse daube infantilisante. Et on a raison. La famille est le cloaque dans
lequel sombre l'intelligence. On se demande d’ailleurs bien pourquoi le fait d’élever
des enfants décape tellement les neurones. Peut-être que l’élevage
est une activité épuisante qui ne laisse pas tellement le temps pour s’embellir
l’âme (comme on disait jadis). Et aussi que pour gérer la progéniture en bas âge,
on doit rester à la maison, et que dans ses conditions, regarder la télé devient
une sorte d’obligation. Et comme chacun le sait, regarder la télé
quotidiennement est le meilleur moyen de se liquéfier le néo-cortex. A moins qu’à
l’inverse, l’idée de faire des gosses ne puisse germer que dans des têtes déjà peu
gâtées par la nature et prédisposées de toute façon à apprécier les spectacles
familiaux.
Je tiens à signaler, tel l’antisémite honteux, que je
connais des couples plus qu’honorables et que certains de mes meilleurs amis
sont mariés. Avec enfants.
Ceci étant dit, on comprend bien pourquoi la télé, organe
consensuel s’il en est, est le réceptacle obligé et naturel du spectacle
familial. Au contraire du cinéma, qui est, dans l’esprit de ceux qui y croit,
sinon un art, du moins une activité des plus remarquables. Ou qui du moins peut
l’être, contrairement au bocal cathodique. En résumé, la télé, c’est pour les
cons ; le cinéma, c’est pour les ceusses qui en ont là-dedans.
C’est un modèle que je n’ai jamais remis en question, et qui
se trouvait renforcé à chaque fois que je trouvais nez à nez, par hasard, avec un
des rejetons dégénérés de l’ORTF.
Pourtant, a existé une époque où la télé n’existait pas. Où
l’on allait au cinéma en famille pour y voir les actualités, suivies de films
justement familiaux. Films navrants que l’on s’est bien évidemment empressé d’oublier.
Comme on a oublié qu’avec la mauvaise littérature, il y aurait de quoi combler
le Grand Canyon.
Je ne fais pas partie de ceux qui pensent que avant, c’était
mieux. Avant on travaillait comme des bêtes, on gagnait peu, on chopait des
maladies indécentes, et les pétomanes étaient considérés comme un spectacle de
bon goût. Donc avant, pour toute la famille, on fabriquait du film familial,
qui rétrospectivement fait honte, et qu’on a viré des encyclopédies du cinéma, en
ne gardant hypocritement que le meilleur (il est difficile de garder le
meilleur de la télé ; ça n’existe pas ; il n’y a que du moins pire).
La cinémathèque qui a pour mission (sacrée) de diffuser tout
le cinéma, m’a ainsi permis de voir ce qu’étaient le cinéma familial d’avant la
télé. Par exemple Echec au porteur où Reggiani joue un petit truand qui transporte de la schnouf dans un ballon de football. Oui, vous avez bien lu :
plutôt que de remonter la came par camion entier de Marseille, le milieu préfère
la mettre dans un ballon, et donc utiliser ce moyen plus que laborieux pour
inonder la capitale de drogueu. En fait ce n’est qu’un prétexte, parce qu’ensuite
des méchants placent une bombe dans le ballon, et des gosses le récupère, tout
ça, mais heureusement le commissaire Machin intervient à temps et tout rentre
dans l’ordre. Bref, complètement con, mais plein de bons sentiments et de
rebondissements convenus. De la pré-télé en somme. Pareil pour La conquête
de l’espace, space-opéra indigent, au récit plus que linéaire (il fallait que
n’importe qui puisse suivre), à l’humour plus que balourd (il fallait que n’importe
qui puisse rire), et aux personnages plus que caricaturaux (il fallait que n’importe
qui puisse s’identifier). Bref un truc que le dernier des demeurés peut
comprendre, et qui annonce la télé dont la mission, quand elle est d’Etat, est
de pouvoir parler justement au dernier des demeurés, et quand elle est privée,
est de pouvoir capter l’attention de ce dernier des demeurés pour lui fourguer
de la pub.
Le tout est de trouver une conclusion à ce passionnant
article. Il n’y en a pas. Sinon que les spectacles familiaux ont toujours existé
(au moins depuis la révolution industrielle), qu’ils ont toujours été navrants,
que la famille a toujours été considérée comme la clé de voûte de la société
moderne, et qu’elle est probablement le corps social le plus conservateur qui
soit. Toutes ces assertions doivent certainement pouvoir se déduire les unes
des autres …