La vie des môches
Ca m’arrive tout le temps. Je trouve les gens laids. Leurs maisons laides. Leurs magasins laids. Leurs gosses laids. Leur putain d’ameublement intérieur dont ils sont si fiers à chier. Surtout à l’étranger. Pourrait-on m’expliquer pourquoi le touriste est toujours fringué comme un plouc hors de chez lui, alors que dans son pays il aurait un peu honte de se trimballer comme ça ? Pourquoi les touristes s’agglutinent et font masse, renforçant ainsi le caractère odieux de leurs personnes et rendant la comparaison si adéquate avec un troupeau de ruminants, lesquels ont le bon goût de ne pas porter des shorts atroces et des couvre-chefs ridicules. Ils ne se sentent pas non plus obligés de filmer compulsivement les objets les plus rigoureusement immobiles au caméscope, les ruminants.
Odieux. C’est le mot que j’ai employé. Ce n’est pas juste un effet de style. Cela décrit mes sentiments face à ce déferlement de laideur et de bêtise tous azimuts. Odieux ; une nausée et une rage qui me submerge. C’est B’. qui me l’a fait remarquer. Elle, la laideur, elle la remarque bien, mais il lui suffit de regarder ailleurs pour qu’elle n’y pense plus. Moi, ça me prend aux tripes. Je ne suis pas certain de faire une différence bien nette entre éthique et esthétique. La laideur est un crime contre l’humanité de l’homme si on veut. C’est infiniment moins grave qu’un enfant mourant de faim, mais d’un autre côté les gens capables de décorer leur maison de manière abominable sont les mêmes qui acceptent le spectacle de cet enfant et cautionnent de fait l’info-spectacle.
Quant je parle de laideur, je parle évidemment de laideur volontaire, consciente. Je ne parle pas du type né difforme. C’est le contraire du racisme : ce dernier consiste à reprocher à quelqu’un ce dont il n’est pas responsable (typiquement la couleur de la peau). Ce qui me met dans tous mes états, c’est la laideur qui est un choix, comme ces cadres qui mettent de la vraie/fausse ronce de noyer dans leur béhème.
Cette forme de laideur est intimement liée à un goût de chiottes et à la bêtise. A la bêtise parce que cette laideur s’imagine en fait hyper-classe et in. Bêtise parce qu’elle s’insurge lorsqu’on proteste et dégaine la subjectivité pour se justifier alors que le propre de cette laideur est d’être justement ultra-conformiste, donc la moins subjective et la moins individuelle qui soit.
Laideur et bêtise sont liées. Intimement. Et – hello, mister de la Palice – la bêtise est ce qui fait que ce monde se tient sur la tête. La bêtise est liée à la servitude volontaire. A la démagogie. Aux croyances imbéciles mais solidement établies. En bout de chaîne, par concaténations successives on devrait pouvoir retrouver l’enfant mourant de faim, fils de la laideur satisfaite.
Et puis, pourquoi devrais-je me justifier par une référence à l’éthique ? La laideur me révolte, parce qu’elle est laide, justement, parce que c’est un affront personnel, une dénaturation de mon espace vital, parce que par un effet miroir, elle nie mon humanité et ce que j’ai de plus précieux.
Sérieux, comment des gens qui se targuent d’avoir la carte des amis du Louvre peuvent-ils avoir dans le même temps des meubles aussi épouvantable ? On ne dira jamais assez l’appétence pour la merde de l’upper-middle-class surtout et quand bien même elle s’imagine le contraire, bêtise moutonnière et satisfaite qui me fait finalement regarder avec tendresse la collection de boules à neige de ma défunte grand-mère.