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Mémoires d'un apathique
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5 décembre 2006

Mon papi à moi

Mon Papi à moi est mort à l'improviste, presque sans douleur, pas en se décomposant lentement dans un hopital. Il est resté chez lui, tranquille, en pleine forme à 97 ans, à flirter avec ses voisines sexagénaires, car il portait beau. Il arrosait ses fleurs, jouait parfois aux boules, faisait sa petite cuisine et n'emmerdait personne sauf peut-être les gens des appartements mitoyens quand il regardait le foot, volume presque à fond.
Et puis un jour, il s'est levé ou plutôt ne s'est pas levé parce qu'il n'arrivait plus à respirer. Il a appelé son médecin qui l'a envoyé à l'hopital. Ca n'avait pas l'air bien grave, mais, à son âge, le praticien n'avait pas envie de prendre de risque. Les poumons pleins de flotte qu'il avait, en plus grave, j'ai su la dénomination exacte mais l'ai vite oublié pour ne pas que ça m'arrive. Malheureusement son vieil organisme est rapidement parti en sucette, et deux jours après, mon père, qui était descendu dans le sud pour être à son chevet, nous prévenait qu'il ne passerait pas la semaine.
On s'est retrouvé dans cet appartement puant la naphtaline, comme dans mon souvenir, cet appartement où nous emmerdions tant, pré-ados, durant les grandes vacances, mon frêre et moi. On s'est retrouvé à 7 là-dedans. On était tristes, mais dignes. On a été éduqués comme ça. Je n'allais de toute façon pas pleurer comme une madeleine ; il n'aurait pas aimé ça, le grand-père. Les trois femmes - dont ma mère - s'occupaient de l'intendance et d'une certaine manière de la gestion symbolique du deuil. Les hommes discutaient de choses et d'autres. Je n'aime pas tellement discuter, mais j'avais un rôle à jouer, un vrai rôle dans une vraie pièce, pas celui d'un lampiste dans une entreprise du tertiaire, et j'ai donné de la parole aussi, par égard pour le mort, parce qu'on attendait ça de moi qui suis l'ainé des petits-enfants. Je me souviens que ma mère avait acheté des steacks énormes, trop frais, je le lui ai dit, et on a fait rassir le reste pour le lendemain. Elle m'a remercié quand il s'est avéré que j'avais eu raison.

Avant l'enterrement, on est allé rendre un dernier hommage au corps. A l'hopital. Heureusement, je l'aurais eu mauvaise si je n'avais pu avoir que la vision du cercueil s'enfonçant dans le sol. Ma mère n'avait pas voulu venir une fois de plus, et m' avait dit qu'il était beau avec son nez busqué, comme un empereur romain. Et c'était vrai. De son vivant, c'était une merveille de le voir aussi bien de sa personne à plus de 90 ans, et couché, il gardait cette majesté, malgré son teint cireux, et je ne pouvais que l'admirer. Mon père nous a dit de ne pas l'embrasser, car il était froid et que c'était désagréable, mais merde, j'avais envie de poser mes lèvres sur son front ; c'était comme lui donner l'obole pour Charon. Je ne me souviens plus bien de l'enterrement lui-même sinon que le fossoyeur nous a fait un discours syncrétique catho/new-age et que j'avais envie de le baffer pour le faire taire.

Evidemment j'ai eu honte de l'avoir vu si peu souvent ces dernières années, même si la distance de 1000 kms qui nous séparait constitutait une excuse commode. Mon frêre lui ayant permis de voir son deuxième arrière-petit-enfant, j'ai souvent l'impression dêtre devenu pour lui une sorte de brûme grisâtre sur la fin de sa vie. Grisâtre mais connue. Je ne savais jamais trop quoi lui dire quand je le voyais ou que je l'avais au téléphone. C'est comme ça la famille : des gens dont je me sens le plus éloigné mais très familiers en même temps par la force des choses. Et lui aussi était englobé dans cet ostracisme, alors que le pauvre vieux n'y était pour rien. Comme mon oncle. Je l'aime beaucoup mon oncle, mais après tant d'années, comment lui dire que je l'aime beaucoup ? Comment lui dire qu'il est presque contre mon gré inclus dans le camp de mes ennemis ? Pour le grand-père, c'était la même chose : je l'aimais beaucoup alors que nous étions si loin l'un de l'autre. D'un autre côté, c'est vrai qu'il est mort tout seul, comme tout le monde : je lui ai téléphoné à l'hopital en me faisant violence. Son appareil ne fontionnait pas bien et il ne m'entendait pas ; sa voix crachotante porté par un souffle difficile me parvenait et je me rendais compte qu'il était à moitié dans les vapes. A capter sa respiration encombrée, je me suis dit que ce devait vraiment être pénible pour lui d'être obligé de parler sans obtenir de réponse et j'ai raccroché, honteux et mal à l'aise. Deux jours plus tard, il était mort.

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Commentaires
P
Je me bile pas, je fais pas toujours très attention quand tu réminisces, c'est tout !
M
Faut pas te biler :)<br /> Ca fait 1 an qu'il est mort. C'était juste une réminiscence ...
P
Bon voyage à ton papi, copain.
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