Une histoire pas banale
C'aurait
été au restaurant que je lui aurais proposé tout de go de coucher avec moi.
Evidemment, elle serait restée assez stupéfaite, la fourchette en l'air, hésitant
entre m'en coller une et essayer de me faire comprendre que ce ne sont pas des
choses qui se disent. Pas comme ça, en tout cas. Voyant son air ahuri, j'aurais
fait comprendre, que, non pas du tout, ce n'est pas ce que tu imagines, j'étais
littéral, là. Littéral ? Oui, coucher dans le sens de s'allonger dans un lit
ensemble. Rien de sexuel. Mais pourquoi ? Un baratin complexe de ma part. En
substance, parce que, exposés l'un l'autre à la nudité de l'interlocuteur,
nos carapaces tomberaient, et le dialogue s'affranchirait des retenues et pour
tout dire de la banalité convenue. En gros, c'est ça que j'aurais expliqué.
Sans parler de banalité convenue, pour ne pas la braquer d'emblée.
Histoire d'avoir un dialogue plus riche ? Et à poil, forcement ? Forcément,
oui, sans quoi, ça n'aurait pas d'intérêt. Non, je ne me fous pas de toi. Si
vraiment, j'avais voulu faire l'amour, j'aurais employé une méthode
moins tordue. Bien obligée d'acquiescer. Je l'aurais senti hésiter, c'était
trop énorme, mais en même temps bizarrement excitant. Ou excitant parce que
bizarre. Hésiter aussi pour autre chose : trente-quadragénaire mariée avec
enfants, elle aurait craint d'exposer ses chairs un peu trop mûres à son goût.
Mariée avec enfants, ça ne l'aurait pas retenue pas, au contraire, elle
n'aurait eu envie que de me croire. Et il faut bien avouer qu'avec mon
air de saint François d'Assise, mon tu ne me fais pas confiance ? marri,
on n'aurait pu que me croire. Et elle m'aurait cru.
Je l'aurais senti gênée de se déshabiller devant moi, et j'aurais fait pas de
problème, je vais dans la pièce à côté, installe-toi dans le lit. Bien entendu,
quand mon tour serait venu de la rejoindre, elle se serait camouflée sous le
drap. Après m’être allongé, j’aurais enlevé doucement cette fine pelure. Au début, il va sans dire, elle se serait couverte la poitrine avec les bras, et aurait
serré les cuisses pour essayer d’en montrer le moins possible. Mais au fur et à
mesure de nos discussions, elle se serait détendue tandis que de sa bouche
auraient coulé les mots de ses déceptions, de ses rêves, de tout ce qu’elle
aurait voulu, mais pas pu faire et dont sur le fond, elle n’avait jamais
vraiment eu envie, peut-être. Ou peut-être que si. A un moment, évidemment, elle m’aurait
demandé pourquoi j’avais gardé mon slip, et j’aurais répondu que je bandais et que
je ne voulais pas que ce soit mal interprété. Elle aurait évidemment reculé et repris
sa posture de nymphe surprise à la sortie du bain, mais j’aurais doucement
expliqué que pas de malaise, c’était juste réflexe, que ça allait passer, et
elle m’aurait cru, parce que ce n’aurait pas été les occasions qui auraient manqué
si j’avais vraiment eu ça derrière la tête. On aurait continué à parler
de nos enfances, adolescences, échecs, espoirs, et, nécessairement, elle m’aurait
demandé si elle pouvait me toucher. J’aurais répondu oui, et de fil en
aiguilles, alors que son discours serait devenu encore plus intime, si cela eut
été possible, elle se serait lovée contre moi, sa bouche tout contre mon oreille.