La connaissance de la douleur
Des fois, comme un malaise. A lire des gens qui souffrent, qui vibrent, singularités scintillantes mises en scène à grand renfort, s'il le faut, de style ampoulé. Et au détour du chemin, voilà qu'ils vous parlent de l'indicible qui s'abat, d'une pluie d'étoiles à l'intérieur, d'un gouffre qui brusquement bée à l'audition du single de Michel Sardou. J'exagère un peu, c'est vrai. Mais dans l'esprit, c'est cela.
Comme quoi, même les amateurs de Celine Dion ont fini par s'accaparer le vocabulaire ad hoc pour se portraitiser en Camille Claudel à demi-morte, dévorée par ses démons.
Il y a là comme un foutage de gueule.
Comme le dernier des beaufs télévisuels qui vient glisser Mallarmé en douce dans son discours, suivant les directives de son attaché de com.
Les petits souffrants ont piqué la panoplie des grands souffrants. Il y a là quelque chose d'obscène. A voler ainsi tout ce qu'il restait à celui ou celle qui n'a plus que la compassion d'autrui pour béquille. Toute la gradation de la douleur se résoud dans le vague étang tiédasse du « mal-être ». Et tant pis pour les OS des nerfs passés à l'émeri.
Bien sur, il y a aussi quelque d'obscène à se disputer « l'honneur » d'être le plus prostré d'entre les prostrés. Comme si un unijambiste manchot et borgne venait réclamer sa place réservée dans le métro à un simple unijambiste.
N'empêche qu'il y a là des relents d'escroquerie. Un jour, peut-être, des isotopes radioactifs seront injectés et l'on déterminera au scanner l'intensité des zones de souffrance au niveau du cortex. Et cette souffrance ainsi quantifiée, indexée, permettra une allocation des ressources (financières et autres). Ainsi que, pourquoi pas, la délivrance d'un brevet, d'un diplome, d'un certificat. Ce sera le temps de la connaissance de la douleur. Bien entendu, des petits malins absorberont telle ou telle substance avant l'examen pour fausser les résultats. Comme un vulgaire cycliste dopé.
D'un autre côté, cela ne pourra advenir que dans un monde proche du paradis, dans une utopie à la limite de la perfection. Et la douleur n'y sera peut-être plus qu'un lointain et désagréable souvenir ...