Points
Comme beaucoup de gens,
comme moi, vous avez du vous rendre compte que les gens ont parfois un
comportement plus qu'étrange lorsque l'on parle avec eux. Quand je dis parler,
cela veut dire d'autre chose que de la pluie et du beau temps, de ce que disent
les media (et surtout de la façon dont ils le disent), et d'une manière
générale de ce qui fait consensus. Si pour vous le dialogue n'a qu'une fonction
sociale et pas cognitive, ce qui va suivre peut ne présenter aucun intérêt.
Vous pourriez même croire que je décris les moeurs d'une civilisation
extra-terrestre.
Il arrive donc qu’au cours d’une
discussion un peu fouillée, votre interlocuteur pète complètement les plombs et
semble laisser son cerveau au vestiaire. Il s’énerve brusquement et sans
prévenir, campe sur ses positions comme si sa vie en dépendait, vous saute au figuré à la
gorge et devient soudain aussi borné qu’un douanier qui a décidé
de vous faire chier. Naïf, vous croyez qu’il vous a mal compris, et expliquez
pour la troisième fois ce qui vous parait aller de soi. Et puis, quand vous
accomplissez la boucle pour la 20ème fois, vous vous rendez compte
enfin que, sans le faire exprès, vous avez mis le doigt sur un point Godwin.
Qu’est-ce qu’un point Godwin ?
Un extrait (d’ici) pourra éclaircir un peu ce post d’une haute teneur théorique :
Plus une discussion
s’allonge sur un forum, plus la probabilité augmente qu’un des participants
recoure à un argument basé sur une comparaison avec les nazis, Adolf Hitler ou
le IIIe Reich, sur le modèle "vous êtes des nazis (…) Dès lors, le
débat est mort : on plonge dans l’affectif, l’insulté hurle sa rage parce
qu’on l’a traité du pire (…).
Comme je n’ai pas l’intention
d’être très regardant, je redéfinirais le point Godwin en ce qui concerne les
personnes comme étant un sujet qui rend votre interlocuteur aussi perméable à l’argumentation
qu’un intégriste quelconque lorsqu’on lui fait remarquer que son dieu a toutes
les chances de ne pas exister. C’est un point fondateur de son caractère, qui
ne peut être remis en cause, même de manière tout à fait théorique et/ou
hypothétique, sans quoi toute discussion sombre dans l’affectif, l’invective et
le procès en sorcellerie si vous continuez à faire le malin. La comparaison
avec l’intégriste est tout à fait adéquate, sa foi ne pouvant être discutée. La
différence, toutefois, vient de ce que souvent, le point Godwin est inconscient,
et que la personne blessée en son soi, croit de bonne foi être restée raisonnable
sans même s’apercevoir que son argumentation bat la campagne et vaut bien celle
du plus sectaire des fanatiques religieux. De toute façon, vous ne pourrez
jamais l’en convaincre.
A vrai dire, j’appellerai
Point Godwin toute situation où l’individu bascule dans l’affectif et l’irrationnel
tout en le déniant.
Toute personne possède un ou
plusieurs points Godwin. Une analyse réussie sur 25 ans peut permettre de reconnaître
les points Godwin en tant que tels, sans, je vous rassure, être capable de les
extirper. Ceux qui prétendent mordicus ne pas être astreints à cette loi d’airain
sont évidemment les plus atteints. En ce qui me concerne, on ne peut même plus
parler de points Godwin, mais de surfaces Godwin, tant il est vrai que
la simple vision de certaines personnes suffit à me mettre dans un état de rage
quasi incontrôlable. Par exemple, les militants UMP ou les commerciaux[1]. Mais il
n’y a pas qu’eux. Toute forme de bêtise (par essence infatuée d’elle-même) tend
à ricocher sur mon armure Godwin.
Le point Bolo est une forme
de point Godwin lié au Zeitgeist, et particulièrement actif chez les
gens fortement socialisés, c'est-à-dire ceux qui prennent tout discours
dominant pour argent content et à leur propre compte. Les points Bolo forment
alors l’ensemble de tous les préjugés de l’époque intériorisables par les
sujets. Si vous ironisez sur le Téléthon
et les myopathes, vous pouvez être presque certain que le point Bolo ad hoc va
s’activer chez votre interlocuteur.
Le point Waga est une variété
de Point Godwin pour lequel le sujet, non seulement, perd toute capacité
cognitive, mais en plus tient des propos complètement aberrants, objectivement
faux sans l’ombre d’un doute et de surcroît en contradiction formelle avec le
point de vue qu’il défend ou s’imagine défendre. Un point Waga permet à d’éventuels
témoins de se rendre compte de l’état de pédalage dans la semoule avancé du
patient, et peuvent vous rassurer sur votre propre état mental, tant il est
vrai qu’on finit par douter devant tant d’élucubrations hargneuses et
vitupérantes.
Toute entreprise destinée à
éviter les points Godwin est condamnée à la futilité et au vide. Telles sont les
télés généralistes : ne voulant heurter personne, ne lever aucun point
Godwin, elles moulinent le néant à tour de bras. Nos sociétés qui semblent si
policées et si civilisées ne sont qu’amnésiques de leur fonctionnement, lequel
consiste à ne rien dire sur rien, à condamner les sujets et leurs dirigeants à
l’insignifiant, en évitant de réactiver les points Godwin. Tout discours
doloriste sur la décadence du politique ou l’absence d’engagement ignore l’existence
même des points Godwin et d’une manière générale des idéologies [2]
irréconciliables. On peut faire là une analogie avec Hobbes : Là où règne
le combat de tous contre tous, un pouvoir indépendant et tout puissant devient
indispensable. Là où règne la possibilité de la folie des points Godwin déchaînés,
une politique de l’insignifiant, une politique du Dernier Homme, devient
indispensable.
1 Les commerciaux sont des gens qui arrivent à fourguer des vélos de course à des grabataires et qui en plus s'en vantent.
2 A prendre dans un sens neutre : une façon d'appréhender la réalité