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Mémoires d'un apathique
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29 décembre 2006

Points

Comme beaucoup de gens, comme moi, vous avez du vous rendre compte que les gens ont parfois un comportement plus qu'étrange lorsque l'on parle avec eux. Quand je dis parler, cela veut dire d'autre chose que de la pluie et du beau temps, de ce que disent les media (et surtout de la façon dont ils le disent), et d'une manière générale de ce qui fait consensus. Si pour vous le dialogue n'a qu'une fonction sociale et pas cognitive, ce qui va suivre peut ne présenter aucun intérêt. Vous pourriez même croire que je décris les moeurs d'une civilisation extra-terrestre.

Il arrive donc qu’au cours d’une discussion un peu fouillée, votre interlocuteur pète complètement les plombs et semble laisser son cerveau au vestiaire. Il s’énerve brusquement et sans prévenir, campe sur ses positions comme si sa vie en dépendait, vous saute au figuré à la gorge et devient soudain aussi borné qu’un douanier qui a décidé de vous faire chier. Naïf, vous croyez qu’il vous a mal compris, et expliquez pour la troisième fois ce qui vous parait aller de soi. Et puis, quand vous accomplissez la boucle pour la 20ème fois, vous vous rendez compte enfin que, sans le faire exprès, vous avez mis le doigt sur un point Godwin.

Qu’est-ce qu’un point Godwin ? Un extrait (d’ici) pourra éclaircir un peu ce post d’une haute teneur théorique :

Plus une discussion s’allonge sur un forum, plus la probabilité augmente qu’un des participants recoure à un argument basé sur une comparaison avec les nazis, Adolf Hitler ou le IIIe Reich, sur le modèle "vous êtes des nazis (…) Dès lors, le débat est mort : on plonge dans l’affectif, l’insulté hurle sa rage parce qu’on l’a traité du pire (…).

Comme je n’ai pas l’intention d’être très regardant, je redéfinirais le point Godwin en ce qui concerne les personnes comme étant un sujet qui rend votre interlocuteur aussi perméable à l’argumentation qu’un intégriste quelconque lorsqu’on lui fait remarquer que son dieu a toutes les chances de ne pas exister. C’est un point fondateur de son caractère, qui ne peut être remis en cause, même de manière tout à fait théorique et/ou hypothétique, sans quoi toute discussion sombre dans l’affectif, l’invective et le procès en sorcellerie si vous continuez à faire le malin. La comparaison avec l’intégriste est tout à fait adéquate, sa foi ne pouvant être discutée. La différence, toutefois, vient de ce que souvent, le point Godwin est inconscient, et que la personne blessée en son soi, croit de bonne foi être restée raisonnable sans même s’apercevoir que son argumentation bat la campagne et vaut bien celle du plus sectaire des fanatiques religieux. De toute façon, vous ne pourrez jamais l’en convaincre.

A vrai dire, j’appellerai Point Godwin toute situation où l’individu bascule dans l’affectif et l’irrationnel tout en le déniant.

Toute personne possède un ou plusieurs points Godwin. Une analyse réussie sur 25 ans peut permettre de reconnaître les points Godwin en tant que tels, sans, je vous rassure, être capable de les extirper. Ceux qui prétendent mordicus ne pas être astreints à cette loi d’airain sont évidemment les plus atteints. En ce qui me concerne, on ne peut même plus parler de points Godwin, mais de surfaces Godwin, tant il est vrai que la simple vision de certaines personnes suffit à me mettre dans un état de rage quasi incontrôlable. Par exemple, les militants UMP ou les commerciaux[1]. Mais il n’y a pas qu’eux. Toute forme de bêtise (par essence infatuée d’elle-même) tend à ricocher sur mon armure Godwin.

Le point Bolo est une forme de point Godwin lié au Zeitgeist, et particulièrement actif chez les gens fortement socialisés, c'est-à-dire ceux qui prennent tout discours dominant pour argent content et à leur propre compte. Les points Bolo forment alors l’ensemble de tous les préjugés de l’époque intériorisables par les sujets.  Si vous ironisez sur le Téléthon et les myopathes, vous pouvez être presque certain que le point Bolo ad hoc va s’activer chez votre interlocuteur.

Le point Waga est une variété de Point Godwin pour lequel le sujet, non seulement, perd toute capacité cognitive, mais en plus tient des propos complètement aberrants, objectivement faux sans l’ombre d’un doute et de surcroît en contradiction formelle avec le point de vue qu’il défend ou s’imagine défendre. Un point Waga permet à d’éventuels témoins de se rendre compte de l’état de pédalage dans la semoule avancé du patient, et peuvent vous rassurer sur votre propre état mental, tant il est vrai qu’on finit par douter devant tant d’élucubrations hargneuses et vitupérantes.

Les points Godwin sont une illustration patente de l’impossibilité du programme des Lumières ou même de tout projet basé sur le consensus (ce qu’on appelle consensus en général n’est qu’un compromis, c.a.d un état où tout le monde est insatisfait). Tout débat d’un enjeu minimal est d’emblée voué à l’échec, puisqu’il est pratiquement certain qu’à un moment ou à un autre, l’on butera sur un point Godwin. Toute discussion est morte-née. Toute intelligence est appelée à se dissoudre dans l’affectif pour être poli, et dans les fureurs psychotiques pour rester plus près de la réalité.

Toute entreprise destinée à éviter les points Godwin est condamnée à la futilité et au vide. Telles sont les télés généralistes : ne voulant heurter personne, ne lever aucun point Godwin, elles moulinent le néant à tour de bras. Nos sociétés qui semblent si policées et si civilisées ne sont qu’amnésiques de leur fonctionnement, lequel consiste à ne rien dire sur rien, à condamner les sujets et leurs dirigeants à l’insignifiant, en évitant de réactiver les points Godwin. Tout discours doloriste sur la décadence du politique ou l’absence d’engagement ignore l’existence même des points Godwin et d’une manière générale des idéologies [2] irréconciliables. On peut faire là une analogie avec Hobbes : Là où règne le combat de tous contre tous, un pouvoir  indépendant et tout puissant devient indispensable. Là où règne la possibilité de la folie des points Godwin déchaînés, une politique de l’insignifiant, une politique du Dernier Homme, devient indispensable.

 

1 Les commerciaux sont des gens qui arrivent à fourguer des vélos de course à des grabataires et qui en plus s'en vantent.
2 A prendre dans un sens neutre : une façon d'appréhender la réalité

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Commentaires
M
Bon, ok, tu as raison. J'aimais bien le terme point Godwin, masi quand j'ai regardé la definition, j'ai vu que c'était pas vraiment ça, mais j'ai dit que c'était bon quand même. <br /> Un peu comme le type qui dit : "voyez cette banane. Ben non. Moi, j'appelle ça un lapin" (et je suis le seul mec à pouvoir peler un kapin avec les doigts)
P
Intéressant comme interprétation du point Godwin, mais n'en élargis-tu pas un peu trop la définition pour ce qui n'est, en définitive, que des "points vulnérables" ?<br /> <br /> Le point Godwin suppose une progression (c'est quand la mayonnaise a suffisamment monté qu'il apparaît), c'est une espèce d'acmé des discussions de forum. À partir de là, on considère que c'est le bordel (alors qu'en fait c'était déjà le bordel avant, la discussion était faussée dès le départ). Dans les cas que tu décris, le point peut être atteint par inadvertance, pas nécessairement à force d'insistance. Mais bon, c'est toujours intéressant de réfléchir sur les points de dérapage.
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