Les incontournables (les vraiment obèses)
Dans tous les pays, il y a des
incontournables. Car dans tous les pays, sauf le sien, celui dont on a
le passeport, on est un touriste. C'est à dire une vache à fric potentielle. Et
aussi un ruminant équipé pour se nourrir de bouffe à touriste, à savoir les
incontournables touristiques.
Pourtant, Dieu - qui m'aime bien - sait que ça m'emmerde, les processions
obligatoires. Tout petit, mes parents m'ont traîné dans toutes les églises,
cathédrales, cloîtres, monastères de France et de Navarre. Résultat : dégoûté à
jamais et incapable de faire la différence entre un nartex et une nef. Mais
saisi par une sourde mauvaise conscience, je me fais violence et vais apporter
mes ex-votos au(x) temple(s). A Mexico, je suis bon pour Teotihuacan. A Prague,
à peu près toute la ville des 7 nains. A Madrid, le Prado. A Vienne, le ring. A
Londres, Le British Museum. Il n'y a qu'à Séville que j'ai échappé à l'Alhambra
; les hordes wisigothes étaient trop nombreuses pour nous permettre d'accéder à
la forteresse.
Donc, à Beijing, la Cité Interdite, c'était indubitablement pour myself. La
Cité Interdite, l'obligation morale comaque quand on s'est tapé 11 heures
d'avion. Pourtant, arrivé sur Tiananmen, j'ai commencé à couiner en voyant le
monde qui s'agglutinait près des portes. Et que j'essayais de convaincre B'.
que c'était trop pour moi, que je ne le supporterais pas, que j'allais
défaillir, qu'elle allait être obligée de demander s'il y avait un médecin dans
la salle en mandarin et qu'elle allait être mal sur ce coup là. Mais elle ne
s'est pas laissée fléchir.
Bon ... Une armée de touristes (une armée = plus de 10 personnes) stagnait à
l'entrée, et j'imaginais déjà le Ragnarok pour obtenir les billets. Parce que
je ne sais pas si je vous l'ai dit, mais les chinois, ils sont champions pour
gruger dans les queues. Et il y avait essentiellement des touristes autochtones.
Ce qui m’a rassuré. Ainsi que, finalement, le peu de monde aux guichets. Car c’est
un phénomène curieux : le chinois-touriste s’agglutine. Même s’il n’y a
pas de raison précise pour cela, il fait masse. Ce qui donne cette impression cataclysmique
à l’entrée des monuments, comme si vous alliez devoir attendre 3 heures dans le
froid avant de pouvoir contempler les merveilles dont vous parle le guide (de
papier) avec des sanglots dans la voix. Le chinois-touriste glande en
troupeaux, et on s’imagine des choses terribles de ce fait.
Du fait d’une
brusque pénurie de plans en anglais, nous avons eu droit à la version
idéogrammes qui nous fut d’une utilité relative. Mais ce fut aussi formateur
puisque cela nous a obligé a reconnaître les noms en mandarin quand nous étions
perdus. Ce qui va très vite car la Cité Interdite est ENORME. Je sais,
tout le monde vous l’a dit. A moi aussi, on a fait l’article. Mais j’ai tout de
même été surpris. Et mes pieds aussi.
Et, comme
prévu, je me suis passablement fait chier. D’abord, parce que dans tous les lieux
de culte, je m’emmerde avec un sérieux qui force le respect. J’ai du mal à
comprendre cette frénétique dévotion pour les choses mortes, protéines pour
taxidermistes. Je préfère 100 fois me promener dans un marché plutôt que d’errer
dans ces tombeaux à ciel ouvert. D’ailleurs, je suis tellement peu convaincu
que je ne prends jamais aucune photo arguant que les cartes postales sont bien meilleures
(ce qui est vrai), mais la vérité est que je ne vois pas la finalité de la
chose. Tenez, dans les musées, par exemple, je ne shoote que les extincteurs. Surtout
dans les musées d’art contemporain. Ce qui est en parfaite adéquation, bien
malgré moi.
Ensuite
parce que l’art chinois ne m’émeut guère. Mais ça, je le savais avant de venir.
Il n’y a que les bronzes archaïques qui sont parvenus à me tirer de ma torpeur.
D’autant que la Cité Interdite n’est guère martiale, ce n’est pas une
forteresse, c’est une sorte de Versailles si on veut tenter une comparaison, où
flotte aussi comme un parfum de décadence, de mollesse et de manque de vigueur.
De ce point de vue, je suis plutôt fasciné par l’architecture aztèque, et suis
resté sans trop me forcer dans la canicule de Monte Alban.
Mais le
vrai problème des incontournables, c’est que ce sont des ruches à touristes.
Des vrais touristes. En troupeau, l’air niais, aussi déplacés que la petite
vérole sur la Joconde, sagement agglutinés derrière le guide et son petit fanion
(en général le drapeau du pays d’où viennent les bœufs fraîchement descendus de
l’autocar). Quand je vois des touristes; j’ai honte d’être moi aussi un
touriste. J’ai honte d’être humain. J’ai honte de moi. Sans compter que la
visite obligatoire des incontournables est supposée être récompensée par la
beauté des lieux. Le problème, c’est qu’un groupe de touristes massacre le
décor comme un étron frais posé à côté d’un vase du VIème siècle. C’est une des
apories du tourisme de masse : leur présence tuent la splendeur, le nomos
de l’endroit et c’est cette splendeur qui justifie la présence des touristes.
Comment voulez-vous éprouver quoi que ce soit à Mycènes quand un millier de
bipèdes divaguent tels des moutons alcooliques et dotés d’un appareil photo ?
Tout cela, je le sais, je l’ai éprouvé dans ma chair des dizaines de fois,
mais, je suis un con comme les autres et j’y vais, sans même la réticence d’une
bestiole à l’abattoir.
Il en fut
de même au temple des lamas, à la colline de charbon et à la Grande Muraille. Non,
à cette dernière, j’ai eu la chance de m’émerveiller devant la campagne
chinoise à demi noyée dans la brume.
Suivez mon conseil : la prochaine fois que vous irez à l’étranger, restez dans votre chambre d’hôtel à regarder des films pornos en pay-per-view. C’est ce que je me dis à chaque fois. Sans succès …