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Mémoires d'un apathique
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22 novembre 2006

Les incontournables (les vraiment obèses)

Dans tous les pays, il y a des incontournables. Car dans tous les pays, sauf le sien, celui dont on a le passeport, on est un touriste. C'est à dire une vache à fric potentielle. Et aussi un ruminant équipé pour se nourrir de bouffe à touriste, à savoir les incontournables touristiques.

Pourtant, Dieu - qui m'aime bien - sait que ça m'emmerde, les processions obligatoires. Tout petit, mes parents m'ont traîné dans toutes les églises, cathédrales, cloîtres, monastères de France et de Navarre. Résultat : dégoûté à jamais et incapable de faire la différence entre un nartex et une nef. Mais saisi par une sourde mauvaise conscience, je me fais violence et vais apporter mes ex-votos au(x) temple(s). A Mexico, je suis bon pour Teotihuacan. A Prague, à peu près toute la ville des 7 nains. A Madrid, le Prado. A Vienne, le ring. A Londres, Le British Museum. Il n'y a qu'à Séville que j'ai échappé à l'Alhambra ; les hordes wisigothes étaient trop nombreuses pour nous permettre d'accéder à la forteresse.

Donc, à Beijing, la Cité Interdite, c'était indubitablement pour myself. La Cité Interdite, l'obligation morale comaque quand on s'est tapé 11 heures d'avion. Pourtant, arrivé sur Tiananmen, j'ai commencé à couiner en voyant le monde qui s'agglutinait près des portes. Et que j'essayais de convaincre B'. que c'était trop pour moi, que je ne le supporterais pas, que j'allais défaillir, qu'elle allait être obligée de demander s'il y avait un médecin dans la salle en mandarin et qu'elle allait être mal sur ce coup là. Mais elle ne s'est pas laissée fléchir.

Bon ... Une armée de touristes (une armée = plus de 10 personnes) stagnait à l'entrée, et j'imaginais déjà le Ragnarok pour obtenir les billets. Parce que je ne sais pas si je vous l'ai dit, mais les chinois, ils sont champions pour gruger dans les queues. Et il y avait essentiellement des touristes autochtones. Ce qui m’a rassuré. Ainsi que, finalement, le peu de monde aux guichets. Car c’est un phénomène curieux : le chinois-touriste s’agglutine. Même s’il n’y a pas de raison précise pour cela, il fait masse. Ce qui donne cette impression cataclysmique à l’entrée des monuments, comme si vous alliez devoir attendre 3 heures dans le froid avant de pouvoir contempler les merveilles dont vous parle le guide (de papier) avec des sanglots dans la voix. Le chinois-touriste glande en troupeaux, et on s’imagine des choses terribles de ce fait.

Du fait d’une brusque pénurie de plans en anglais, nous avons eu droit à la version idéogrammes qui nous fut d’une utilité relative. Mais ce fut aussi formateur puisque cela nous a obligé a reconnaître les noms en mandarin quand nous étions perdus. Ce qui va très vite car la Cité Interdite est ENORME. Je sais, tout le monde vous l’a dit. A moi aussi, on a fait l’article. Mais j’ai tout de même été surpris. Et mes pieds aussi.

Et, comme prévu, je me suis passablement fait chier. D’abord, parce que dans tous les lieux de culte, je m’emmerde avec un sérieux qui force le respect. J’ai du mal à comprendre cette frénétique dévotion pour les choses mortes, protéines pour taxidermistes. Je préfère 100 fois me promener dans un marché plutôt que d’errer dans ces tombeaux à ciel ouvert. D’ailleurs, je suis tellement peu convaincu que je ne prends jamais aucune photo arguant que les cartes postales sont bien meilleures (ce qui est vrai), mais la vérité est que je ne vois pas la finalité de la chose. Tenez, dans les musées, par exemple, je ne shoote que les extincteurs. Surtout dans les musées d’art contemporain. Ce qui est en parfaite adéquation, bien malgré moi.

Ensuite parce que l’art chinois ne m’émeut guère. Mais ça, je le savais avant de venir. Il n’y a que les bronzes archaïques qui sont parvenus à me tirer de ma torpeur. D’autant que la Cité Interdite n’est guère martiale, ce n’est pas une forteresse, c’est une sorte de Versailles si on veut tenter une comparaison, où flotte aussi comme un parfum de décadence, de mollesse et de manque de vigueur. De ce point de vue, je suis plutôt fasciné par l’architecture aztèque, et suis resté sans trop me forcer dans la canicule de Monte Alban.

Mais le vrai problème des incontournables, c’est que ce sont des ruches à touristes. Des vrais touristes. En troupeau, l’air niais, aussi déplacés que la petite vérole sur la Joconde, sagement agglutinés derrière le guide et son petit fanion (en général le drapeau du pays d’où viennent les bœufs fraîchement descendus de l’autocar). Quand je vois des touristes; j’ai honte d’être moi aussi un touriste. J’ai honte d’être humain. J’ai honte de moi. Sans compter que la visite obligatoire des incontournables est supposée être récompensée par la beauté des lieux. Le problème, c’est qu’un groupe de touristes massacre le décor comme un étron frais posé à côté d’un vase du VIème siècle. C’est une des apories du tourisme de masse : leur présence tuent la splendeur, le nomos de l’endroit et c’est cette splendeur qui justifie la présence des touristes. Comment voulez-vous éprouver quoi que ce soit à Mycènes quand un millier de bipèdes divaguent tels des moutons alcooliques et dotés d’un appareil photo ? Tout cela, je le sais, je l’ai éprouvé dans ma chair des dizaines de fois, mais, je suis un con comme les autres et j’y vais, sans même la réticence d’une bestiole à l’abattoir.

Il en fut de même au temple des lamas, à la colline de charbon et à la Grande Muraille. Non, à cette dernière, j’ai eu la chance de m’émerveiller devant la campagne chinoise à demi noyée dans la brume.

Suivez mon conseil : la prochaine fois que vous irez à l’étranger, restez dans votre chambre d’hôtel à regarder des films pornos en pay-per-view. C’est ce que je me dis à chaque fois. Sans succès …

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Commentaires
P
Les sites de cette espèce sont moins faits pour être vus que pour être médités. Ils sont là pour la pensée, pour les rêveries. Toutes choses évidemment impossibles au milieu des mêmes foules qu'au Carrouf du coin, moins les Caddies. D'où la nécessité, quand on veut suivre le mode d'emploi de ces sites, de se donner le petit supplément de suée ou de démerde pour les voir selon le mode le plus solitaire possible. Et c'est généralement possible avec un peu d'organisation. C'est pas du mépris pour les foules, c'est pas de l'élitisme, c'est juste un extrait du mode d'emploi.<br /> George Sand (qui s'y connaissait en voyages) écrivait à peu près la même chose au XIXe siècle, sans aborder la question du Carrouf, bien entendu.
M
reevolution> Comme me le disais B'., j'ai tendance à prendre tout truc inesthétique comme une offense personnelle. Et à monter au créneau les tripes nouées.<br /> <br /> Ptipois> Veinarde ! Il m'est arrivé un truc similaire au Mexique : un site aztèque n'était accessible qu'après 5 kms de marche en plein cagnard. Total, nous étions deux couples là-bas à nous éviter mutuellement d'un commun accord tacite pour ne pas troubler les reveries de l'autre.
P
J'ai vu Mycènes avec trois copains athéniens, au coucher du soleil, en mars, en pleine floraison des orangers, et je remercie encore le Grand Bélier cosmique d'avoir permis ça, parce qu'on était tout seuls. L'un de mes amis avait réussi à amadouer le gardien, nous étions arrivés à l'heure de la fermeture. Comme il prenait son café, il nous a permis d'entrer "juste cinq minutes". On est restés une demi-heure, ça c'était du site !
R
Tu dois avoir une sacrée collection de photos d'extincteurs!<br /> <br /> N'empêche, je comprends ton malaise. Déjà le sentiment de contrainte qui se dissimule derrière le mot "incontournable". Et ensuite l'idée de participer malgré soi à un viol de la beauté, de l'identité d'un lieu rien qu'en étant là, au milieu d'autres. Il y a quelque chose d'obscène là-dedans.<br /> <br /> Et puis, le plaisir de te lire...
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