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Mémoires d'un apathique
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20 octobre 2006

Ne pas savoir

La société est fondée sur un crime commis en commun. C'est ce que prétendait le barbu au cigare (pas Castro, l'autre).

Un peu réducteur, mais il y a un fond de vérité. Disons que la société est fondée sur un gros paquet d'hypocrisies partagées. L'hypocrisie, ça consiste, entre autres, à déborder d'indignation lorsque le signal est donné et qu'une hypocrisie a été déclarée désormais fonctionnellement inutile. Par exemple, ça consiste pour les intellectuels à découvrir le goulag dans les années 70, à la suite des livres de Soljénitsyne. Alors que Ciliga (au moins) avait publié un livre sur le sujet dès les années 30, et que Rousset s'était pris un retentissant procès au cul dans l'immédiat d'après-guerre. Deux exemples entre mille.

Ca consiste aussi à - oh surprise ! - s'apercevoir dans les années 90 que la police française avait participé à la rafle du Vel d'Hiv. A vrai dire, elle avait effectué l'opération toute seule. Evidemment, Paxton avait bien débroussaillé le terrain avec son bouquin (1973). Certes, Le Chagrin et la Pitié (1969), en parle. Plutôt deux fois qu'une, même. D'ailleurs on y voit René Bousquet serrer la main d'Oberg (images d'archives reprises dans tous les documentaires sur Vichy). Bousquet, vous savez, le type dont on s'est aperçu 50 ans après que c'était un affreux méchant.

Ca consiste à faire un procès à un vieillard sénile, en l'espèce Maurice Papon, qui joue le rôle du bouc émissaire, qui aurait certes être du être fusillé à la libération, mais qui depuis le temps avait cru qu'il y avait prescription, personne ne semblant s'interesser à son cas, ni à celui de l'occupation et de la déportation des juifs de France.

Dans le même registre, et toujours dans le cas du Vel D'hiv, on peut voir un premier ministre reconnaitre publiquement la coopération de la police française lors d'évènements avérés depuis plus de 50 ans, je le répète.

Vous commencez à discerner ce que je désigne sous le nom d'hypocrisie ?

On peut aussi penser à la guerre d'Algérie et à la torture qui est une question taboue. Tabou, ça veut dire que tout le monde est au courant. On fait dater le début de la guerre d'Algérie en 1954. Dès 1957 (soit 3 ans après, soyons lourdement explicite), une gigantesque campagne de presse se met en branle en France pour dénoncer ce chancre qu'est la torture. Avec démission volontaire d'un général à la clé et Bigeard qui déclare que, la gégène, il l'a essayée sur lui et que ça ne fait pas si mal que ça. Henri Alleg publie même un best-seller sur le sujet, suite à l'affaire Maurice Audin. C'est dire si tout cela a été occulté.

Français, encore un effort, et l'on pourra mettre en scène un procès d'ex-colonels parachutistes nonagénaires au milieu des aboiements de ceux qui ne savaient pas et qui, dégoutés par des horreurs avérées depuis 1957 donc, réclameront une justice exemplaire, chaudement soutenus par un public qui lui non plus ne savait pas, mais qui entend bien se racheter à la suite d'une grotesque cérémonie expiatoire.

Le plus étonnant, et le plus ignoble dans ce festival d'hypocrisie, c'est que les données ne sont pas inaccessibles, loin s'en faut. Les livres sur Vichy se trouvent sans le moindre problème dans les bibliothèques municipales. Celui de Paxton, par exemple, a bénéficié d'un gros succès de librairie, de nombreuses rééditions et d'un passage au format poche. Le Chagrin et la Pitié n'a vraiment pas été diffusé sous le manteau. Il est tellement facile de se le procurer que l'on peut se demander comment on peut ne pas être au courant. Idem pour la guerre d'Algérie. A ce propos, il existe un excellent documentaire sur l'OAS, autre sujet tabou en France. C'est distribué par TF1-vidéo. Et disponible, de la même façon, dans les médiathèques municipales. Pour vous dire si c'est underground et réservé aux chercheurs à cheveux blancs.

En vérité, si l'on veut savoir, on sait. Cela ne nécessite aucun effort. Juste un peu de curiosité. Toutes les informations sont à portée de main. Et gratuitement, de surcroît. Ne savent pas que ceux qui ne veulent pas savoir, les amateurs de lynchages expiatoires, et autres hypocrites qui restent dans le troupeau, bien au  chaud, au pays tiédasse des bénis-oui-oui, qui n'ont comme seules certitudes que celles du moment et qui, le temps venu, adopte la nouvelle indignation en court.

L'hypocrise est le ciment d'une société de moutons fiers d'eux-mêmes et de leur petitesse abyssale ...

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