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Mémoires d'un apathique
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27 mai 2008

Wendy

Dans les aéroports, il y a des gens qui attendent ceux qui descendent de l'avion avec un petit panneau. Généralement, c'est Jet-Tour qui se signale ainsi, pour que les affolés-dans-un-pays-étranger ne paniquent pas et retrouvent au plus vite des chaussons tiédasses qui ont le bon gout de parler leur langue. Il y aussi les sémaphores pour business-men chargés de les happer au plus vite pour les mettre dans de sombres limousines aux vitres teintées. Les occultes transactions destinées à faire des milliards d'euros de bénéfices douteux ne souffrent aucun retard. Plus généralement, c'est un gus d'une entreprise de cartonnage, de découpe de séquoia ou de vidange de fosses sceptiques qui vient extraire un confrère étranger de la masse des touristes.
C'est de la récupération corporate : les cartons sont sérigraphiés en quadrichromie, avec dans un coin le logo de celui qui attend et parfois même celui de la personne qu'on attend.
Mais il arrive qu'on distingue dans la foule de ceux qui brandissent ainsi cet ersatz d'état-civil des panonceaux fait main, des trapèzes mal foutus, aux bords déchiquetés, avec des indications au marqueur.
A Boston, j'en ai vu un comme ça : un petit gros, à demi-chauve, avec d'énormes lunettes qui lui faisaient des yeux comme des balles de golf. Intimidé, il avait tendance à se laisser absorber par la masse des professionnels de l'attente à panneaux, à y disparaitre avec un petit sourire vaincu. Il revenait toutefois sur le devant de la scène, s'excusant auprès de ses pairs mieux lotis et plus agressifs et levait à hauteur de poitrine un morceau de carton sur lequel était écrit « Wendy ». J'ai eu les larmes aux yeux en voyant ce petit bonhomme pathétique et j'ai presque prié pour que Wendy ait vraiment été dans l'avion, pour qu'elle le distingue dans la foule et qu'il ne reste pas comme une âme en peine, seul, n'osant s'en aller et espérant contre toute évidence la venue de quelques retardataires, une heure après l'atterrissage, parmi lesquels évidemment Wendy.

On s'emmerdait, T. et moi. Un de ces dimanches après-midi mortels, l'été, quand tout le monde est parti pour des destinations lointaines et que l'on se retrouve seul(s), abandonné(s) et le cerveau pelucheux. Deux rats morts. Et il était beaucoup trop tôt pour boire. Alors je lui ai proposé d'aller à CDG avec un « panneau Wendy ». Au début, il n'a pas compris. Encore moins quand je lui ai expliqué que c'était un concept. Un après-midi concept. C'était naze, selon lui, et on allait échanger un très classique ennui dominical contre un ennui, fait main, certes, suintant d'intelligence comme il était pas permis de l'être, pas commun, d'accord, intriguant et sexy vu de loin, il le concédait. Mais ennui quand même. Justement, fis-je remarquer, quelle différence ? Autant y aller.
Ni une, ni deux, nous nous sommes retrouvés à la sortie d'un Newark-Paris, moi levant le « Wendy » à hauteur des yeux, et lui ne cessant de me répéter que c'était un plan nul. Les gens passaient devant nous, indifférents, évidemment, certains retrouvant les bons porteurs de panonceaux.
Honnêtement, le plan était nul : une heure à poireauter, tenant à bout de bras mon morceau de carton, j'en avais mal mal aux humérus, pour rien, il va sans dire, puisqu'il n'y avait pas de Wendy. C'était justement ça, le concept : attendre comme un gland avec son petit sémaphore quelqu'un qui n'existait pas. Nul. Mais je m'entêtais et décidai d'attendre un deuxième avion, malgré les hululements de T. qui commençait à la trouver saumâtre. Il pouvait rentrer, s'il voulait, que je lui disais. Et lui bien sûr que non. Il venait de trouver une autre occupation : saboter mon merveilleux passe-temps conceptuel. Lorsque les passagers du second Newark-Paris commencèrent à se répandre, notre cher T. se mit à imiter l'avion en battant des ailes, tournant autour de moi, et criant de temps à autre « Wendy, Wendy » d'une voix criarde de personnage de Manga. Il fit son petit effet. Les étazuniens nous regardaient comme la preuve vivante de la décadence de l'ancien monde, les autres porteurs de panneaux nous faisaient les gros yeux comme si nous cassions un business lucratif, des vieilles dames firent remarquer que c'était une honte, et au final quelques vigiles commencèrent à s'intéresser à notre cas. Ce qui calma T. et l'obligea à aller faire un tour ailleurs, aux toilettes en l'occurrence.  Moi, impavide, je tenais mon petit « Wendy » à bout de bras. T. revint, me fit comprendre que trop c'était trop, et qu'il se cassait. Je lui fis quelques remarques désobligeantes en rapport avec un toucher rectal, et il partit, me laissant seul, face au flot de plus en plus clairsemé. Puis, il n'y eu plus personne. Et ce qui devait arriver arriva : une jeune fille sortit de la salle des bagages et se dirigea vers moi, un sourire radieux aux lèvres, heureuse et reconnaissante pour ma patience. Elle s'appelait Wendy, chacun l'aura deviné. Son guide, son sauveur n'était pas venu, s'était perdu ou dieu sait quoi, et j'étais le seul porteur de « Wendy » de tout l'aéroport. Le coup de théâtre à deux balles, la péripétie à laquelle personne ne croit.
Bien entendu, j'aurais pu jouer le jeu et continuer à lui faire croire que j'étais celui qu'elle attendait. D'autant qu'elle ne le connaissait pas son récupérateur, d'après ce que je comprenais de ses explications, c'était un ami d'ami ou quelque chose comme ça. Et elle était mignonne, la Wendy que j'avais sous les yeux, j'aurais pu lui raconter une sombre histoire d'impossibilités complexes, comme quoi ses hôtes de Paris se trouvaient en fait à Karachi du fait d'un incroyable concours de circonstances et qu'ils m'avaient chargé de veiller sur elle et en particulier de la loger. Chez moi.
Je le sentais bien, ce coup là. Le brave gars qui prend en charge la petite ricaine sans point de chute. Le type sur lequel on peut compter et qui lui offre son canapé pour la nuit. Qui la sort un peu avant, pour qu'elle oublie ce fâcheux contretemps, qui l'emmène au restaurant, et encore avant boire un coup en terrasse (so Frenchy !). Elle me regardait déjà avec ses grands yeux débordant d'une reconnaissance éperdue, alors après ces subtils travaux d'approche ... Elle pourrait grâce à moi, connaitre le french kiss 100% authentique, la sensualité torride du latin et last but not least, la chute dans le néant occasionné par son premier orgasme vaginal (interdit de séjour en Amérique du nord par les colons du Mayflower).
C'était pour ainsi dire du tout cuit.
Mais je suis un gentil con.
Alors je lui ai dit la vérité. Que j'étais pas le bon « Wendy ». Je ne suis pas rentré dans les détails (le concept et tout le tremblement), mais elle a bien compris qu'il y avait erreur sur la personne. Elle s'est presque mise à pleurer, complètement désorientée, et pour le coup, perdue, dans un pays étranger potentiellement hostile. Et le bon con, dans un anglais hésitant, a commencé à l'aider. Il a appelé un numéro, puis deux, puis trois, sur son portable. Personne ne répondit. Le bon con a dit qu'il n'y avait pas de problème et qu'il allait accompagner la pauvre Wendy jusqu'à l'adresse qu'elle avait noté sur son petit carnet.

Elle cessa de renifler, me remercia mille et mille fois et me suivit en direction du RER. Je vous raconterai la suite un autre jour ...

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Commentaires
M
C'est sûr, faut savoir s'occuper les dimanches ...
N
C'est fou comme histoire..
M
Quiche> C'est très cool, je trouve, les aéroports ...<br /> <br /> Wendy> Eh oh, c'est tout de même pas de ma faute à moi, si ton cavalier-servant officiel ne s'est pas pointé :)
W
Oui c'est bien que tu m'aies trouvé, mais franchement, tu m'as fait un de ces coups, j'ai failli ne pas te le pardonner !
Q
Je hais les aérogares...
Mémoires d'un apathique
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