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Mémoires d'un apathique
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3 mars 2008

Le temps d'avant

« [...] De cette époque, quelques textes que je ne relis plus qu'avec honte et, il faut bien le dire, une certaine terreur. Honte devant le monstre discret que j'étais alors, répugnance du bien-portant, bien-noté et bien-introduit-dans-le-monde devant pareille dégénérescence et  pareil éloignement du normal.  Terreur, car il y a toujours retour possible. Terreur, car je pourrais fort bien me réveiller un matin, les membranes protectrices ayant lâché. Vous n'y comprenez rien ? C'est normal. Vous n'avez jamais été là-bas. Les analogies seraient plates, spécieuses, incomplètes. Et vous induiraient en erreur. Prenez celle du raisin : c'est un temps où l'écrasement est quotidien, où vous êtes foulé aux pieds chaque jour, foulé, piétiné, broyé et au sens strict réduit en pulpe. Où cette pulpe, rapidement débris de pulpe et fragments de débris, est systématiquement re-broyée, re-foulée, sempiternellement, à l'infini. A tel point qu'on finit par se demander ce qu'il reste à pulvériser, puisque par définition la poussière ne peut plus être pulvérisée. Mais c'était pourtant le cas. Et, ce, sans qu'il en sorte autre chose qu'un liquide amer ou pas de liquide du tout. La pulvérisation en soi. Limitation de l'analogie du raisin.
Amphigouri ? Enflure ?
Je pourrais l'affirmer, ce qui serait - par ailleurs - un moyen de retourner là-bas par la bande, au moins d'en ramener une saveur.  Mais c'est plus certainement un problème de conception. Je veux dire : ce serait comme expliquer des nuances sonores à un sourd de naissance. Conception donc : ce qui ne peut être imaginé parce que non expérimentable, ne peut être transmis par la parole, puisque les mots, ce sont les vôtres ; ils ne peuvent décrire les situations qui vous sont inconcevables. Et si j'inventais les miens, vous ne les comprendriez pas. Un homme à qui l'on aurait greffé une truffe de chien ou un chien à qui l'on aurait greffé un cerveau d'homme, ne seraient pas plus ennuyés pour décrire leur quotidien ainsi enrichi. Encore qu'en l'occurence, on ne puisse parler d'enrichissement.
Se penser rien et moins que rien à exterminer avec rage, ce n'est qu'une approximation de la situation, approximation rapide, mais grâce à laquelle je pense ou crois penser que je n'aurais rien à gagner à ce retour.
Ce qui n'a rien de trivial, pour être honnête. L'état de pulpe salie et de pulpe de pulpe fait saliver. Il y a un plus presque évident. Et pas seulement l'appel du gouffre. C'est de la mauvaise littérature, et elle ne dit rien de plus qu'elle est mauvaise.  Quand je parlais de saliver, ce n'était pas un joli mot, une belle expression ; ça fait vraiment saliver, ce genre de souvenir du moins que moins, le jouir d'être de la merde.
Je n'y arrive pas. C'est trop loin, peut-être. Mais plus probablement, défaut de conception.
Une chose est certaine : Il faudrait pour ce retour, faire sauter les membranes : la première, l'explicite, la membrane qui isole de la dépression. Celle qui permet de se croire tiré d'affaire - et je le suis peut-être réellement. De toute façon, elle est flagrante même pour des témoins extérieurs. La seconde est la dépression elle-même, membrane implicite qui protège de ce dont je vous parlais. Entre l'horreur pure indéfiniment réitérée (désolé pour la pauvreté de cette expression) et la routine réconfortante de la dépression, routine qui réinstalle dans le monde, il y a - justement - un monde. Je sais, c'est paradoxal, mais la dépression, c'est un plus, un pas en avant vers la vie.
Vous n'êtes pas obligé de me croire. [...] »

Statut : Candidature rejetée



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