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Mémoires d'un apathique
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27 février 2008

Les pénibles

Ce que j'aime chez les américains, c'est qu'ils n'ont pas une dévotion excessive pour le marxisme. J'entends par là : la vulgate marxiste comme référent obligatoire.
Vu depuis l'Europe, et tout particulièrement depuis la France, leurs analyses ont un petit côté rafraichissant.
Le pragmatisme a du bon : plutôt que de partir bille en tête avec de pesants schèmes a priori, on essaie de circonscrire un sujet, puis on l'étudie, on le palpe, on prend des mesures, comme s'il s'agissait d'une nouvelle plante pas encore répertoriée.
Un peu d'humilité ne nuit pas.
Exemple : Pourquoi les pauvres votent à droite (Thomas Frank, Agone 2008 - Achetez-le, c'est une petite maison d'édition, vous ferez une bonne action). Oh, ce n'est pas transcendant, mais l'utilisation de grilles d'analyse alternatives permet d'ouvrir des pistes de réflexion. Tenez : en France, populisme est un gros mot. Ca signifie en substance : proto-fascisme. Surtout chez nos merveilleux intellectuels médiatiques qui ignorent jusqu'à la signification du mot réflexion. D'ailleurs lire un bouquin universitaire ou para-universitaire sur le sujet revient à se voir répéter ad nauseum que le concept  est nébuleux, voire inconsistant. Sur 400 pages. Avec souvent, au bout du compte, l'idée bien ancrée de la répugnante populace qu'il faut museler (comme chez Tocqueville - et oui !). Pas tout le temps c'est vrai. Mais les fleurets restent mouchetés : même si c'est parfois implicite, personne n'ose dire qu'il y a une différence entre une réaction de type populiste suite à des fantasmes (les juifs dominent le monde, typiquement) - mauvais populisme - et la même face à certaines réalités (médiocrité, morgue, voire malhonnêteté  des élites - exemple purement théorique) - gentil populisme. En résumé, le populisme, ça craint, plus ou moins selon la sensibilité de l'auteur.

Chez les américains, le populisme, ce n'est pas sale. Cela peut même être associé à un radicalisme de gauche. C'est d'ailleurs une bonne partie de l'argumentation de Frank Thomas : le renversement du sens du populisme. Parti d'un certain gauchisme qui a pu entre autres irriguer le New Deal, le voilà désormais récupéré et transformé par la droite neo-conservatrice. Pourquoi, comment, voilà l'essentiel du bouquin de Thomas. Surtout lorsqu'il constate que la cible demeure la même (à savoir, pour aller vite, la low middle-class).

Et comme la doxa américaine finit par devenir le mode de pensée dominant en France 15 ans plus tard, il est des plus salutaire de s'intéresser à ce qui se passe là-bas. Les remarques de Thomas sont donc les bienvenues. D'autant qu'elles m'ont inspiré ce qui suit (roulements de tambour).

Un des traits les plus fascinants de la droite dite décomplexée : son côté pleurnichard. Toujours à se présenter en victime, toujours à se plaindre. Alors que les électeurs de gauche sont généralement dépeints comme des parasites efféminés coupés des vraies-réalités™, bref comme des tarlouzes, leurs adversaires, les hommes et femmes avec des couilles en béton ne cessent de chouiner que les gens sont cruels, que, tenez-vous bien, des sans-coeur les critiquent, que les bolchéviques ne cessent de les brimer.
Pauvres bichounets !
C'est Caliméro version longue.
Le plus stupéfiant, c'est le déni de réalité : Ces gens là sont au pouvoir, leurs adversaires institutionnels (le PS pour ne pas le nommer) s'empressent de faire tout comme eux, la vulgate néo-libérale est répétée ad nauseum, c'est même la doxa du moment, rien n'y fait. Ce sont des VICTIMES ! Ils sont incompris, se battent pour essayer de faire entendre leur voix dans un environnement hostile, et pour tout dire, à les écouter, ils sont les proies larmoyantes de la police de la pensée. Bref, c'est Beria qui les course.
Sauf que.
Evidemment, ils ne sont victimes de rien du tout, ni de personne, aucun flic estampillé Big Brother ne se pointe chez eux pour les déporter dans des camps, ils ne subissent aucune contrainte de qui que ce soit, et d'ailleurs, pour commencer, les media leur servent la soupe avec un empressement qu'on a rarement vu du temps des vraies dictatures. Qu'à cela ne tienne : ils souffrent et veulent nous le faire savoir. Il y a quand même quelque chose d'assez obscène à voir la soit-disant  France-qui-gagne™ se comporter comme un gamin capricieux et geignard.
En fait, et c'est le fond du problème, ce que ne supportent pas ces gens en position de quasi-monopole culturel et institutionnel, c'est qu'on puisse les critiquer (voyez comment leur connard en chef à l'Elysée fait caca par terre à chaque fois qu'on se s'extasie pas suffisamment sur sa gourmette en or). Ca leur fait monter les larmes aux yeux, à nos titans du post-capitalisme. Et quand je dis qu'ils ne supportent pas, cela signifie que le fait qu'existe, par exemple, ne fut-ce qu'un journal radical (au sens large) tirant à 1000 exemplaires, est un signe patent des souffrances qu'ils endurent. Et que les crypto-marxistes régentent l'univers entier.
Il y a quelque chose d'assez totalitaire dans une pareille attitude.
Cette obsession de l'unanimité est plutôt inquiétante.
A leurs yeux, les media ne sont jamais suffisamment à leur botte, la propagande jamais assez martelée. Si ce n'est pas un déni de réalité en fonte massive, je ne sais pas ce que c'est.
Les gauchistes, la pensée gauchiste continuent d'infecter l'espace public. Comment et où, on ne sait trop, car l'idée que la maison Bouygues soit un repaire de maoistes parait pour le moins délirante. Et quand je dis Bouygues, ce pourrait être toute la médiasphère. Parce que, comment dire, 99% du dit espace public est mis en coupe réglée. Et là, c'est facile à vérifier : prenez n'importe quel journal tirant à plus de 10000 exemplaires, et lisez le pour vous faire une idée. Et je ne parle même pas de la télé. Oh, bien sûr, il peut, de temps à autre, y avoir sur des radios d'Etat, entre deux et trois heures du matin, quelques anachronismes vivants qui ne marchent pas encore tout à fait au pas.
C'est bien ça qui est intolérable : l'absence d'unanimité. Et on en revient au totalitarisme.
Parce qu'il faut bien voir que cette attitude est totalement fantasmatique. On patauge en plein ressentiment. Et le ressentiment est  par essence impossible à satisfaire : les media ne seront jamais assez aux ordres. Il y aura toujours à redire, crier à la subversion sera toujours d'un bon rapport. Le propre de l'attitude victimaire (qu'ils épinglent avec tant de hargne chez les autres) : une insatisfaction quasi ontologique. Se plaindre est une jouissance ; et renoncer à cette jouissance est absolument à exclure.
D'ailleurs, nos amis les chouineurs de droite seraient bien incapables de donner une définition positive d'un bon medium. C'est probablement impossible étant donné cette mentalité d'assiégé.
Voilà pour cette incapacité à appréhender virilement le monde (comme dirait Soral).
Mais le geignard de droite, peu gaté par la nature, possède de surcroit une psychologie digne d'éloges.
Il faut bien admettre qu'une bonne partie de ces pleureuses est composée d'individus aigris, incompétents, trouillards, des rats, suivant la terminologie de Badiou. Terrifiés par l'évolution sociale, évolution essentiellement due au marché, comme ces crétins semblent ne pas l'avoir compris, craignant de perdre un statut minable (devenir semi-prolo après avoir été semi-cadre, quel enfer !), ils ne paraissent capables que de déverser leur fiel sur tout et le reste, de préférence sur le mode du n'importe quoi généralisé. La haine recuite, dissimulée et honteuse est leur moteur intime. Parce qu'au risque de me répéter, si la prépondérance des différentes variantes du marxisme pouvait éventuellement être diagnostiquée dans les années 60 et au début des années 70 (à la rigueur), le moins que l'on puisse dire, c'est que nous en sommes très loin (depuis une bonne vingtaine d'années, au bas mot).
Ces minus habens sont partout : dans les média, dans l'entreprise, sur le net. Quoi qu'on fasse, on met toujours le pied dedans, et pas toujours le gauche. J'ai même eu droit aux interventions d'un de ces diminués du cortex il y a quelques semaines. Ils sont faciles à repérer : prenez n'importe quel article sur n'importe quel blog : quelque soit le sujet, pour peu qu'il soit légèrement en dehors des clous, il y aura toujours un des ces rongeurs maladifs pour partir dans ses délires sans, d'ailleurs, beaucoup de rapport avec ce dont il est initialement question. Et c'est bien cela qui les caractérise : une logorrhée à la masse, complètement à côté de la plaque, l'occasion de coucher ses fantasmes par écrit, de se plaindre, de dégueuler sa haine, son mépris, mépris auto-alimenté - à mon humble avis - par un dégout envers soi-même (la lucidité tourne malgré tout en tâche de fond - pas de bol).
Et c'est bien pour cela qu'il est impossible à cette catégorie de pénibles de donner une version positive de ce que devrait être l'air ambiant culturel (outre le fait qu'ils sont cons comme des balais et incultes). En pratique, si d'aventure l'un de ces souffreteux minables se laissait aller à pondre un programme, il ferait passer Mein Kampf pour un cri d'amour.
Je sais, c'est un point Godwin, mais je m'en tape : j'arrive à la fin de cet article. Et de surcroit, j'ai une assez bonne  maitrise de ce qu'a pu être le régime nazi pour ne pas faire cette comparaison à la légère (contrairement aux professionnels de l'anti-totalitarisme) . Et c'est bien ce qui m'inquiète : le retour de la barbarie d'en bas, la régression haineuse (et à mon avis, Badiou est à côté de la plaque lorsqu'il parle de barbarie dans son interview). Et quand j'écris d'en bas, cela ne signifie pas la répugnante populace (on y revient) : cela désigne simplement la barbarie latente d'une partie non négligeable de l'électorat de droite.

 

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Commentaires
U
Et ça ne s'est pas amélioré, loin de là, depuis 2008 ! Ils sont toujours plus geignards. On ne pensait pas que cela pouvait être possible...
M
Soral, c'est effectivement pain béni pour les anti-populistes (majoritaires dans les domaines politiques et culturels - au sens large). Populiste auto-proclamé, ex-PCF et maintenant au FN (ou dissident de, je ne sais plus). On peut aussi y ajouter une misogynie fin XIXeme du plus bel effet.<br /> Le populisme, c'est vieux comme 1789, je pense. Mais ce n'est devenu un gros mot que depuis peu (à vrai dire depuis que les électeurs ont commencé à penser qu'ils auraient droit à un morceau de démocratie "pour de vrai")<br /> <br /> Quant à Copé, je ne sais pas. A mon avis, plus la droite est à droite, plus elle est geignarde (il y a de prestigieux antécédents : par ex, les nazis à partir de 1942).
N
Soral, que tu cites, est un de ces types essayant de redorer le blason du "populisme". On sait comment... Mais n'empêche, ce sujet est vraiment intéressant (élitisme/populisme). Le moins qu'on puisse dire c'est que ça perturbe les codes habituels.<br /> <br /> Sur la droite geignarde et auto-victimisée, je ne sais pas pourquoi, instantanément en lisant ton texte je pense à Copé.
M
C'est un interview sur rue 89
P
Tu as raison de souligner la différence de sens concernant le populisme entre ce côté-ci de l'Atlantique et l'autre : d'ailleurs, il me semble que le succès actuel de Barek Obama s'explique par le fait qu'il joue intelligemment cette carte. M'en fait, je poste juste pour savoir de quel interview de Badiou tu causes...
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