A propos de Calle
Et à Beaubourg, j'ai acheté un bouquin sur Sophie Calle. C'était Beckett, le pretexte. Dans notre série, Nos Grands Hommes : après Clémenceau et Gambetta lorsque j'étais à l'école primaire, les nouveaux jetés en pâture à l'admiration consensuelle. Mais on s'en fout.
J'étais tombé amoureux de Sophie Calle il y a longtemps. Quand j'avais vu "No Sex Last Night". Et que j'avais découvert ses filatures, ses travaux d'espionne lorsqu'elle s'était faite engager dans un hôtel vénitien. Elle avait réalisé sans le savoir bon nombre de mes fantasmes, tous ceux tournant autour de l'usurpation d'identité et du dévoilement de l'intimité. Celle des autres, des inconnu(e)s qu'on croise.
Mais en lisant le livre, je me suis rendu compte qu'elle a triché. Elle les a choisi les suivis, les suiveurs. Parce que ça me taraudait, cette histoire. A suivre les gens, statistiquement, on ne tombe que sur de la banalité. Des vies rangées. je le sais, je l'ai fait. Comme ces lumières qu'on voit de loin aux fenêtres des immeubles et dont on imagine qu'elles abritent des vies merveilleuses et différentes. Alors que ce n'est pas le cas. Généralement des familles dorées sur tranche en train de regarder la télé.
Elle a triché. Et comme elle le dit elle-même, toute à sa ferveur de ne pas passer à côté de quelque chose, elle a sélectionné. Parce que, toujours statistiquement, on ne passe à côté de rien. Peut-être même qu'en général, on ne passe jamais à côté de rien. Elle avouera un jour et sortira des carnets où elle a noté les filatures sans interêt qu'elle a laissé en plan, voyant que ça ne menait nulle part.
Il faudrait autre chose. Se déguiser en agent recenseur de l'INSEE pour pénétrer chez les gens, leur donner à remplir des formulaires légèrement modifiés pour qu'ils se dévoilent ou même leur proposer des rendez-vous supplémentaires mais facultatifs, toujours sous couvert officiel, pour les faire parler. Au risque de voir s'étendre ce qu'on essait de conjurer, à savoir l'immensité de la banalité.