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Mémoires d'un apathique
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4 février 2007

Cargo cult

2

- Ben, en ce moment, je lis un bouquin sur les Cargo cults
- Les Cargo cults, kézaco ? Pourquoi tu regardes pas la télé comme tout le monde ?
- Parce que j'ai perdu le fil d'antenne, je pense
- Et si tu m'expliquais un peu ?
- D'abord le culte du Cargo ne signifie pas le culte du navire (le cargo), mais plutôt le culte de la cargaison (cargo en anglais).
- Ah, j'avoue que je comprends nettement mieux maintenant ...
- Attends, attends, j'explique à la foule ignare ... Ce sont des cultes religieux assez récents (début du XXème siècle), de type millénariste nés essentiellement du côté de la Nouvelle Guinée et les îles alentour (Mélanésie). En très gros, voilà ce qui s'est passé : les indigènes mis au travail plus ou moins forcé dans les plantations de coprah se sont aperçus que les blancs (propriétaires des dites plantations) d'une part disposaient d'une foule d'objets extrèmement désirables du point de vue des natifs, des objets de blancs (fusils, radios, phonographes, nourriture en pagaille, etc ...), et que d'autre part ils ne foutaient pas grand chose. Il est vrai que faire de la paperasse et pratiquer la coercition ne constituaient un travail pour les autochtones, qui, eux, se cassaient le cul dans les plantations environ 10 heures par jour. Niveau pénibilité, on ne peut que leur donner raison. Ne foutant rien, on ne comprennait pas comment les blancs pouvaient produire tous ces objets succulents. La conclusion qui s'imposait était que ces objets, dont la somme formait le cargo, n'étaient pas produits par les blancs eux-mêmes, mais par les ancêtres morts des indigènes dans quelque paradis ou enfer lointain, et amenés par bateau (ou avion) chez les blancs suite à ce qu'on ne pouvait que qualifier de vol. Les divers cultes du cargo affirmaient que désormais le cargo allait être livré chez les autochtones par un navire piloté par les ancêtres morts, qu'il était inutile de continuer de bosser pour les planteurs, de bosser tout court, qu'on pouvait dilapider les ressources, abattre et manger les porcs, puisque tout ce qui était désirable allait être apporté par mer sous forme de cargo. Au final, les blancs seraient foutus à la mer, et on vivrait un nouvel âge d'or. Au passage, c'est un exemple exaltant de ce que les valeurs et/ou les croyances ne sont pas immuables et fondées de et pour toute éternité, mais soumises aux aléas et aux contingences socio-historiques, mais c'est un autre problème.
- Où veux-tu en venir ?
- A ceci : les revendications sociales en Occident peuvent être rapprochées du culte du cargo ; face à une minorité ne foutant rien (ou pas grand chose), puisque chez nous aussi, le salaire est inversement proportionnel à la pénibilité et que la fortune est de plus en plus dûe à la spéculation financière ou simplement à l'argent faisant des petits, une majorité
d'exploités ne demande qu'à bénéficier des divers artefacts  des nantis, ici et maintenant sans avoir à attendre.
- Attends, attends, c'est vachement réactionnaire ce que tu dis là. T'es en train de me raconter que les gens qui réclament sont des sortes de sauvages envieux qui ne comprennent rien aux structures economico-industrielles, et qui agissent comme des enfants pas contents. En pratique, tu fournis de l'eau aux moulins de « l'élite » qui sur le fond aimerait bien réduire le rôle du peuple, toujours un peu génant dans les démocraties formelles, qui ne sont en fait que des oligarchies méprisantes ...

Il y a des jours comme ça, où on a envie de se taper un grand bol de boisson alcoolisée pour se remettre et continuer, tant on est incompris.

[Intermezzo] Ca me rappelle quand j'ai revu B'. pour la grande réconciliation finale. On avait décidé de se retrouver dans un délicieux restaurant de nouvelle cuisine cubaine. Comme j'étais un peu nerveux, j'avais commandé un mojito, bien qu'en fait ce n'était pas nécessaire tant nous étions absorbés, béats, dans la contemplation l'un de l'autre. B'. qui ne boit pas d'alcool, qui déteste le goût de l'alcool, le coeur tout remué par les circonstances me demanda si elle pouvait gouter. Mmmhh ... Mais c'est bon, ça ! Avec la menthe, on ne sent pas cet arrière-gout qu'elle ne supporte pas. J'ai du y mettre le hola, d'abord parce qu'elle était en train de me siffler mon apéro, et aussi parce que je ne tenais pas à la la ramener complètement pétée chez elle, vu son peu de résistance à l'alcool du à un manque de pratique. [Fin de l'intermezzo]

- Non, tu ne comprends pas. Ce que je dis, c'est que les autochtones avaient raison ; leur exigences étaient logiques, parce qu'EFFECTIVEMENT, les blancs ne foutaient rien, s'en mettaient plein les poches, et qu'en dernière instance il n'y avait pas de raison qu'un groupe restreint accapare toutes les bonnes choses. On ne pouvait expliquer cette injustice par une différence de mérite et/ou de capacités (argument, il est vrai, auxquel les natifs auraient été culturellement assez peu sensibles). Mais par une mainmise illégitime des blancs sur les ressources. C'est ça qui est passionnant : la mise en perspective. Ce que nous percevons comme naturel (la récompense de nébuleux talents prétendumment supérieurs par une répartition inégale des richesses) ne l'est pas. Ce n'est qu'une construction idéologique, une rationnalisation / justification a posteriori, à laquelle seule notre mentalité de soumis permet de perdurer. N'ayant pas cette mentalité implantée depuis des siècles, les mélanésiens nous donnent une leçon que nous ferions bien de méditer.
- Mais t'es un putain d'anarchiste, toi ...
- Peut-être bien ... Il reste de la bière ?

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Commentaires
M
Allez mourir toutes les deux :) !
P
Je suis complètement avec Balise sur le mojito.
B
Bon, OK, mettons que tu as des circonstances exténuantes alors ;) (m'enfin de base, j'aime pas la menthe, ça aide pas)
M
Balise, voyons, si tu avais, comme moi, participé à la prise de la Havane avec le Che et Castro, tu saurais que le mojito, c'est bon :) ..
B
Tu viens de descendre de deux points dans mon estime. Un Mojito, franchement... C'est pas bon !
Mémoires d'un apathique
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