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Mémoires d'un apathique
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13 décembre 2008

Mon psy et moi

Le psy, celui-là même qui me fournit les médicaments qui me font me tenir calme, est un type un peu bizarre qui, d'une part, ne me regarde jamais dans les yeux et même les détourne d'un air un peu gêné comme si j'étais un gros chien inconnu venu chez lui dans le seul but de baver abondamment sur son parquet, et d'autre part, suit ses intuitions à lui, donnant ce faisant l'impression de ne pas m'écouter, en se cramponnant à ses dadas perso, comme la finitude, la terreur de la paternité, les jalons comme autant d'étapes sur le chemin de croix menant à la maturité, en somme aux mots imprimés en gras qui alourdissaient considérablement ses manuels de cours. Comme l'invité trop imbibé qui somnole à table et se réveille de temps à autre pour s'arrimer à la conversation en s'accrochant au premier mot passant à portée et en y greffant les bribes qui pataugeaient un instant auparavant dans sa torpeur trans-prandiale. Passant du coq à l'âne et me plongeant dans une perplexité polie comme lorsqu'en pleine récrimination sur l'ennui tranchant qui me saisit dans le non-espace qu'est le lieu de travail, il se met, avec un petit sourire finaud, à ironiser sur ma lassitude devant les névroses et névrosés « standards », ce qui n'est pas faux mais n'a aucun rapport avec ce dont je parlais. Je lui réponds oui, que je sais, que rien n'est plus banal et ennuyeux qu'une névrose et un névrosé, qu'une sommité en la matière l'a déjà fait remarquer, Freud peut-être, et j'essaie de revenir au sujet initial, bien décidé à l'apitoyer sur mon lamentable sort.
Il aime bien m'écouter, c'est certain, je dois lui faire des sortes de vacances à discourir sur un mode fleuri, très conversation de salon début XXème, je ne m'engage pas sur les sentiers balisés qu'il doit parcourir à longueur de journée encombrés par les trainards claudiquants qui portent les noms de problème de bite, d'incommunicabilité dans le couple ou de place dans la société. Je lui parle comme j'écris, là maintenant, en saturant ma parole de petites pirouettes syntaxiques et de termes précieux et/ou techniques, et il a l'air d'apprécier. Mes ronchonnements hauts en couleur sur les masses moutonnières du RER aux heures de pointe le ravit, ma description des connards qui attendent au delà de la bande blanche et empêche la rame d'entrer en station et d'en repartir à la vitesse prévue, qui râlent contre le débit ralenti des trains alors qu'ils en sont la cause, qui rouspètent quand ils sont serrés comme des mouflets devant un Ronnie lors d'une fête d'anniversaire chez McDo alors qu'ils sont responsables de cet état de fait, qui crient au scandale quand tout s'arrête parce qu'un type fait un malaise à force d'être compressé dans le presse-purée sur boggies alors que etc ... Il me demande si je n'ai pas songé à écrire parce que mon petit tableau des matins quotidiens en sous-sol, il le trouve fort cocasse. Je bafouille que oui, un peu, peut-être, ma foi, mais en vérité je reste un peu stupéfait par l'emploi de fort cocasse que je ne croyais plus usité depuis le pitoyable règne de l'impératrice Eugénie. De toute évidence, nous ne faisons pas partie du même monde, et devant tant d'incommunicabilité dans le pseudo-couple, je brode jusqu'à la fin de la séance et pousse un soupir de soulagement quand il me dédicace enfin mon ordonnance.

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Commentaires
E
Vertuchou, je riotai de vos piquants commentaires, quelle finesse.
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