Les amoureux
Le problème quand on est parents, c'est que l'on est plus des amoureux.
Et que B'. et moi, notre fonction dans l'existence, celle qu'on a choisie, c'est d'être des amoureux.
Pas qu'en soit le fait d'être mère/père empêche de l'être.
Mais en pratique, quand on se transforme en zombies tout dévoués à l'élevage de l'homonculesse, on ne peut plus l'être. Plus le temps, plus l'énergie, plus la motivation.
C'est B'. que ça a rendu folle au début. Son amoureux s'éloignait, sans qu'elle pût rien y faire, au fur et à mesure qu'elle se transformait en vache laitière et lui, en une sorte d'aide soignant pas très qualifié. Deux colocataires dans les bras desquels un sort cruel avait collé un nourrisson hurlant.
Elle était ma planète et j'étais son satellite. J'étais sa planète et elle était mon satellite.
Pas de psycho à deux balles sur les mères-qui-peuvent-être-aussi-des-amantes ou sur la-jalousie-envers-le-nouveau-né. C'est bon pour les amoureux qui choisissent leur amour sur catalogue.
L'amour s'est délité, il n'a pas disparu, il est passé de l'état solide à l'état gazeux et il est bien difficile d'en respirer suffisamment pour retrouver la sensation antérieure.
Constatation : l'abrutissement et la fatigue sont les premiers tue-l'amour bien avant les chaussettes sales qui traînent sur le parquet.
L'abrutissement et la fatigue génèrent une morne indifférence envers tout ce qui n'est pas le nourrisson et ce qui lui est associé. Envers l'amoureux/se, en particulier.
Puis, c'est moi qui ai ressenti l'aspiration de l'élevage. L'aspiration vers cette morne indifférence.
J'ai essayé de lutter.
Pour commencer, j'ai offert un bouquet de fleurs au débotté, pour rappeler ce que nous sommes, don inutile et volontairement sans rapport avec la lactation. Pour des raisons techniques, elles ont fini dans un vase sur le balcon à se flétrir. Des raisons certes techniques, mais cela fait partie de ces petits détails qui font mal au coeur.
J'ai récidivé avec un pendentif de métal martelé.
Jamais ou peu utilisé.
Mais comme elle le dit elle-même : « comment pourrais-je mettre des bijoux alors que j'ai à peine le temps de m'habiller le matin et que j'ai l'air d'être fringuée avec des sacs à patates ? »
Mais lui revient le mot de la fin : « Quand on en aura fini avec ça (comprendre : quand la gamine aura 3, 6, 9, ou 12 mois), il faudra réapprendre à se draguer ».
Il reste de l'espoir puisque nous sommes en phase. Les vrais amoureux ne meurent jamais ...