La mort me trousse
Grâce à ce merveilleux titre digne d'un pigiste de Libé, j'entre de plein pied dans le sujet : j'ai persuadé B'. de regarder la Mort aux trousses. Parce que tu vois ma chérie, c'est un classique, et que les classiques, faut les avoir vus. Et qu'il est bon de réévaluer ses critères. Hitchcock ne m'a jamais vraiment convaincu. Ca faisait même 15 ans que je n'en avais pas vu un. Quelqu'un avait dit naguère quelque chose comme Hitchcock est un bon faiseur, mais définitivement pas un bon réalisateur. Et j'étais tout à fait d'accord. Mais je tenais à voir si mes gouts n'avaient pas évolué. Ou si je ne m'étais pas trompé. Et, avouons-le, je suis comme tout le monde : j'ai un peu honte - et peur - de médire sur ce que les encyclopédies du cinéma désignent comme des chefs-d'oeuvres.
Eliminons d'emblée l'argument du snobisme. Car, voyez-vous, dire du mal d'un monument comme Hitchcock, c'est du snobisme. C'est jouer au bobo qui fait son malin. Argument surpuissant s'il en est. On pourrait le retourner, et insinuer que s'extasier devant des machins qui ont fait leur temps, c'est aussi du snobisme. Un partout, la balle au centre, et penchons-nous plutôt avec une objectivité sans faille sur le sujet du jour.
Alors, c'est comment La mort aux trousses ?
Chiant. C'est le terme le plus approprié. C'est d'ailleurs celui qu'a employé B'., témoin test qui ne peut pas être qualifié d'intello délirant loin des vraies choses de la vraie vie des vrais gens.
Donc, c'est chiant.
Déjà pour commencer, l'histoire est inepte, sorte de bidule à la James Bond, vague histoire d'espions qui se manipulent les uns les autres de la plus improbable manière. Si encore, c'était très formel, mathématique, gorgé d'enchâssements de péripéties inouies, je ne dirais pas. Mais ce n'est pas le cas. C'est juste grotesque, pas crédible deux minutes, à faire passer Agatha Christie pour une cathédrale de finesse. Les coups de théâtre sont téléphonés de bout en bout, et si ça a pu impressionner en 1959, aujourd'hui, c'est un peu pathétique.
Ensuite, comme presque toujours avec Hitchcock, la direction d'acteurs est des plus floues. Cary Grant est particulièrement approximatif, James Mason serait impérial s'il n'était pas livré à lui même et Martin Landau - mon préféré - joue le rôle d'un médecin SS très méchant avec un rare brio, sauf qu'il n'y a pas de médecin SS très méchant dans le film. Quant à la blonde racée chère au maitre, je préfère ne pas en parler.
Hitchcock n'est donc qu'un bon faiseur. J'enfoncerai le clou en ajoutant que c'est juste un honnête faiseur. En dehors de quelques morceaux de bravoure, ça se traine, c'est couru d'avance et on s'emmerde (d'autant que le caméo d'Alfred est au tout début du film et qu'on n'a même plus ça à se mettre sous la dent pendant les deux heures qui suivent).
Et même ... Même les morceaux de bravoure ... Finalement la scène avec l'avion était autrement plus grandiose dans mon souvenir. En réalité, elle est poussive, mal filmée (ou plutôt mal exploitée) et reglée avec deux de tension au compteur. Un petit peu avant, Cary descend de son autobus au beau milieu des grandes plaines. On devine que quelqu'un de vraiment doué aurait pu tirer des plans magnifiques de cette immensité plate comme la main et plutôt pelée. Mais pas Hitchcock. Tout ce qu'il trouve à faire quand le faux rendez-vous arrive de l'autre côté de la route (et pas qu'un peu qu'on avait deviné que c'était pas le vrai rendez-vous, ça crève les yeux, que voulez-vous), tout ce qu'il trouve à faire, c'est de placer les deux personnages à chaque extrémité du scope. Pfff ... C'est pas un boulot de grand réalisateur, ça. C'est juste un gimmick ! Et le problème avec les gimmicks, c'est qu'ils vieillissent très mal. Rien à voir, par exemple, avec les scènes d'attaque de diligence archétypiques de La chevauchée fantastique (Stagecoach) qui n'ont pas pris une ride (alors que le film a 20 ans de moins !). Cela tient évidemment à ce que Ford, lui, est un vrai réalisateur.
Autre exemple (cette fois, ce n'est pas un morceau de bravoure, mais plutôt du tout venant) : Cary Grant est dans un train sans billet et on a droit à un plan fixe montrant les contrôleurs dans le fond, et à droite, au premier plan, les chiottes. Bon, on se dit : c'est pour faire comprendre que Grant est caché là-dedans. Pas essentiel, et on attend que ça coupe pour passer à autre chose. Mais ça ne coupe pas : les contrôleurs continuent à avancer, et le plan reste fixe. Ca doit être l'art du suspense selon Hitchcock : les contrôleurs vont-ils ou non ouvrir la porte des toilettes ? J'en avais des palpitations ! Et ça lambine, ça lambine (toujours en plan fixe). A tel point qu'on se demande si Grant est vraiment dans les WC. Ce serait une sorte de faux semblant : en fait il n'y est pas, les gusses de la SNCF vont ouvrir la porte et ne rien trouver. Plan certes amusant, mais laborieux, raté de toute façon. En fait, les contrôleurs passent, sortent du champ et Cary s'extrait de sa cachette. Les bras nous en sont tombés ... Cadre immobile pendant plus d'une minute pour rien, à tous points de vue !
On continue à s'emmerder, on envisage de passer par moment en avance rapide pour accélérer le mouvement, le final est insipide, je ne m'en souviens même plus vraiment, tant j'avais décroché, préférant embêter le chat qui ne m'avait rien fait. Bon, soyons honnête : ce n'était si mauvais que ça, c'est juste très très moyen, mais regarder une oeuvre tellement surévaluée ne peut déclencher qu'une salutaire colère.
Seul petit plus : le technicolor flamboyant qui donne un air orangé au visage buriné de Cary Grant et un aspect laqué rosâtre à celui d'Eva Marie Saint ...