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Mémoires d'un apathique
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16 février 2008

El Aura

L'aura désigne la période qui précède une crise de migraine ou d'épilepsie. Caractérisée par des perturbations visuelles (scotomes, kaleïdoscopie), auditives, physio-psychologiques (angoisse, nausées), elle peut s'apparenter à une série de signes annonciateurs.
Il est probable que la venue de l'aura ne peut que renforcer son angoisse intrinsèque puisqu'elle indique que cette angoisse va se trouver confirmée par la venue de l'attaque. Angoisse terrible de celui qui sent venir le mal - et, ce, de manière certaine - sans pouvoir y faire quoi que ce soit.

Par extension, on pourrait tout aussi bien parler de l'aura du suicide. Cette dernière est d'une miraculeuse et réconfortante clarté. Dans certains cas, la phase de terreurs et d'auto-lacérations se résorbe en effet en une forme de révélation, finalement assez similaire à celle que peut éprouver un mystique en voyant apparaitre un archange chargé de le guider (ou quelque autre créature adaptée aux croyances du sujet).
Aux longues périodes de douleurs, d'effondrements successifs, de culpabilité, de haine de cette dernière, de son corps et de son être en intégralité, succède un moment de calme, de sérénité d'où tout doute est exclu. Ce qui a été décidé va être enfin mené à son terme, l'évidence en devient scintillante et l'on peut enfin souffler. Et se préparer à s'extirper de l'horreur, profitant de ce brusque répit.
Les termes de « scintillement » ou de « clarté » ne sont pas juste là pour faire joli, pour faire de la littérature. Effectivement, le monde semble baigné dans une lumière surnaturelle, comme un paysage surexposé. Paradoxalement, la respiration se fait moins oppressée et tout ce qui apparaissait comme autant de fantasmes informulés et douloureux, voire honteux, se mue en un enchainement rigoureux d'actes à accomplir, aussi anodins ou presque que le fait d'aller voir un médecin en cas de grippe. La crainte a cessé, les animaux carnassiers qui semblaient se nourrir entre plexus et larynx sont retournés à leur Géhenne. Ne reste plus que l'évidence à accomplir, évidence salvatrice qui empêchera à tout jamais un retour au stade antérieur.
Ce qui explique les précaution prises ou le soin dans l'organisation (prévoir une longue période avant la découverte du corps en cas d'autolyse médicamenteuse, par exemple) qui, de prime abord, cadrent mal avec l'état de délabrement psychique que l'entourage a pu noter et qui, de ce fait, peuvent alimenter des soupçons de simulation ou de raisons extérieures et/ou autres, éventuellement responsables du décès du sujet.
L'aura du suicide se caractérise par une extraordinaire lucidité. La mort n'est plus vue comme une issue pathétique et pitoyable, mais comme une solution quasi rationnelle, et en tout cas logique, pour sortir du tunnel. Toute illusion disparait, et tout particulièrement ce qu'on nomme faute de mieux les illusions vitales, ces raisons de vivre généralement implicites qui lie le sujet au monde des vivants.
L'aura est alors une bénédiction. Le moment où l'existence apparait dans toute sa clarté, dans toute son évidence, débarrassée de ses faux-semblants. Il ne s'agit en aucun cas d'une position morbide ou cynique, mais au contraire d'une illumination, qui, dans des circonstances différentes, transfigurerait le sujet. C'est bien pour cela que j'ai fait plus haut le rapprochement avec la révélation religieuse.

Si d'aventure vous revenez au monde (ce qui est rare, l'aura étant plutôt associée aux suicides « réussis »), cette période devient une sorte de fanal, un signal à ne jamais atteindre de nouveau. Et, comme je l'ai dit tout au début, l'angoisse sourde renait dans les moments de désespoir à l'idée que le fanion de l'aura pourrait de nouveau être visible à l'horizon. La vie de celui qui est prédisposé aux chutes en cascade, à l'effondrement de sa psychè, devient un parcours jalonné de photophores, de bornes à ne pas franchir : non seulement l'aura, mais aussi les pré-auras, comme autant d'étapes sur le chemin de croix. Par pré-auras, j'entends tous les signes annonciateurs qui marquent le passage d'un stade à l'autre, toujours pire que le précédent : aura de l'angoisse (on peut la deviner plusieurs jours à l'avance), aura de la dépression, aura de l'effondrement, etc.

On entre alors dans une vie de terreurs secrètes, à sans cesse anticiper la venue de ce qu'on finit par identifier à des signes du destin. Et toute votre énergie se consume à essayer de rebrousser chemin avant que le fanal se soit visible. Une existence d'épuisement et de combat quotidien, plutôt éloignée de la mollesse et du fatalisme supposés que les braves gens aiment tant coller sur le dos de ceux qui s'évertuent à survivre, déployant une somme d'efforts dont seraient bien incapables les moralistes confortablement installés dans leur absence de douleurs.

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