Pathétique
Etre pathétique en slip dans son salon, c'est une chose.
En public, c'en est une autre.
Alors on évite le public, on monte des escaliers, on les descend, on franchit des portes, on les pousse, les tire, on arrive dehors, c'est la rue, on avance, vite, vers le fond, vers l'horizon, ou plus prosaïquement vers le prochain feu, on marche, on marche, une station, deux stations, dix, on respire difficilement, et l'on se rend compte que de toute façon, on va arriver quelque part, toujours quelque part, il n'y a pas d'issue, de vacances à espérer au bout du chemin. On va se retrouver en territoire connu, on va tourner en rond, les nuées vont me rattraper, laisser tomber les trucs neigeux/humides/froids sur ma tête, et qu'est-ce que je vais faire. Continuer vers le prochain feu, même si c'est inutile en espérant malgré tout que la cuisson des sucres rapides me videra le crâne ?
Ou retourner à la maison, se caler dans le canapé, tout recroquevillé, en offrant le moins de surface possible aux morsures ?
Seul de nouveau avec les images, les baffes dans la gueule qu'on s'envoie avec l'énergie du pénitent, mais quel con quel con, mais comment je peux être aussi - tape sur le front - comment je peux, pourquoi y'a pas de robinet de purge, pourquoi ça me colle comme ça, soyons réaliste-logique-grand garçon, tiens je l'écris ce qu'il faut faire et ne faut pas faire, 50 fois même comme une punition à l'école, et ça sert à rien, que dalle, zéro pointé, on fixe la feuille et c'est comme écouter la radio, ça rentre par une oreille, ça sort par l'autre, en boule le papier et jokari mou contre le mur, faut autre chose, con, con, con, le néon plein pot 30 fois par minute derrière les yeux.
Ne pas être pathétique. Ou l'être tout seul, à larmoyer vaguement sur la cuvette des chiottes, à se reprocher des trucs, des machins, des bouts de phrases à décortiquer, retourner, analyser, dissections biaisées d'emblée, imaginer la chignole dans la tempe pour expulser les images, faire péter les os du front contre le rebord du lavabo, cinéma tout ça, du flan, ridicule, pathétique, tu crains mon pauvre vieux, allez sort de là, fait quelque chose. Marcher ? Dehors ?
Et toujours les images et le manque derrière, les griffes du singe ou ce qu'il en reste en train de racler l'intérieur des veines, crisser sur les tissus, mais en dedans, ça fait plus mal, oh arrête, ça fait pas si mal que ça, picoler, beurk, se remettre au truc, merci bien, un an pour s'en sortir, rien, alors, non, faut être patient et rester bras ballants au milieu du bordel à fixer d'un oeil vague n'importe quoi en attendant que ça passe, que la date de péremption advienne, que tout cela soit fini, l'espoir fait vivre. Attendre. compter les jours, faire des petites croix en douce dans des agendas qu'on dissimule, pas de témoins surtout.
Le ridicule tue.