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Mémoires d'un apathique
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3 décembre 2007

Du tyrannicide

Le tyrannicide toujours célébré en théorie n'a, en pratique, jamais bonne presse. Question d'éducation et d'éternelle  fascination pour celui qui tient le knout.
On préfèrera toujours la figure étatique de l'autorité à celle du libertaire conséquent avec lui-même. Et avec les valeurs humanistes de ceux qui tolèrent avec une bienveillance douteuse le patron des escadrons de la mort. Flinguer le tyran, ça fait désordre, ça a comme un parfum d'anarchisme, et plutôt les camps que la chienlit, comme chacun sait.
Si quelqu'un avait logé une balle de gros calibre dans la tête d'un Staline, il y aurait encore aujourd'hui des gens pour trouver ça un peu fort de café.
Il ne s'agit pas d'avoir ou non le courage de passer soi-même à l'acte, mais simplement de ne pas se détourner de celui qui a planté le pieu dans le coeur du vampire.

Prenons un exemple.

Le 20 juillet 1944, le colonel von Stauffenberg fait exploser une bombe dans le GQG de l'OKW. Hitler, cible de l'engin, s'en tire avec quelques égratignures. Pas de bol.

staufenberg

Von Stauffenberg est un tyrannicide, pas de doute, même s'il n'a pas eu de chance.
Pourtant, on chipote, on mégotte,  on s'interroge.
A droite, parce qu'en temps de guerre, faire disparaitre le chef de l'exécutif, cela relève de la haute trahison. Même  si, de fait, le dictateur en question est responsable du plus grand carnage de tous les temps (de l'ordre de 50 millions de morts). Mais que sont ces monceaux de cadavres en face du sens du devoir ? Je vous le demande ...
A gauche, parce que, justement, von Stauffenberg est un type de droite (l'équivalent d'un démocrate-chrétien de nos jours) et qu'il a attendu pour agir que la situation militaire soit désespérée. En effet, au 20 juillet 1944, les anglo-américains ont définitivement percé en Normandie et les soviétiques, après avoir chassé les envahisseurs du pays, s'apprêtent à la fois à leur foutre une tannée mémorable et à organiser le viol collectif le plus massif de l'histoire connue. En bref, on lui reproche les mêmes choses qu'à droite, mais pour des raisons inverses.
Quand je vous disais que le tyrannicide n'a jamais bonne presse et que l'on se sent toujours d'humeur à pinailler ...

Mais il y mieux.

Le 8 novembre 1939, un ébéniste, nommé Georg Esler, isolé (au contraire de von Stauffenberg qui avait tout un paquet de conjurés derrière lui), décide de se débarrasser du dictateur. Notons cette fois que cet homme est un ancien du KPD, qu'il n'est affilié à aucun parti à cette date (de toute façon, il aurait eu du mal vue la situation en Allemagne) et que, en tout état de cause, la nation n'est pas soumise à une obligation de rédition sans condition.

7elser

Pas de bol, la bombe cachée dans un pilier de la brasserie Bürgerbraü explose alors qu'Hitler et ses acolytes ont quitté l'endroit depuis moins de treize minutes.

En toute logique, ce type devrait être fêté comme un héros dans son pays. Et pas que dans son pays d'ailleurs.

Le fait est qu'il est quasiment inconnu en dehors d'Allemagne. Et dans son pays même, alors qu'il devrait avoir sa statue dans le moindre bled, le moins que l'on puisse dire, c'est qu'il n'a pas droit à la reconnaissance qui devrait lui être due. Certes la poste du coin s'est fendue d'un timbre à son effigie.

Georg_Elser_Briefmarke

Certes il existe une salle de concert qui porte son nom à Munich.

Mais tout cela ne mène pas bien loin.
Une recherche sur internet montre d'ailleurs que sa notoriété est toute relative.

Si l'on était cohérent avec les fameuses valeurs dont on se gargarise à longueur de discours, on devrait montrer ce type en exemple aux enfants des écoles.
Un beau modèle d'homme libre et courageux, aux antipodes des arrivistes décérébrés qui sont proposés à l'admiration des foules par tous les organes de propagande disponibles (il est vrai que les journalistes et apparentés ne sont pas, eux, des modèles d'humanité).

Comme le montre le terrible et magnifique livre de Christopher R. Browning (Des hommes ordinaires : Le 101e bataillon de réserve de la police allemande et la solution finale en Pologne), la seule façon de réellement contrer une dictature est de pratiquer le refus d'obéissance ou du moins de ne pas exécuter les ordres quand ils s'opposent aux valeurs communément admises (il est vrai que, dans ces conditions, une dictature ne peut tout simplement pas advenir). C'est en substance ce que disait La Boetie il y a des siècles de cela. Mais il se trouvera toujours des « intellectuels » pour raconter que l'enseignement de la désobéissance civile, c'est la voie du bordel. Et tout plutôt que le boxon, comme je le disais plus haut. Et il ne s'agit pas de simples élucubrations de ma part : dans L'Holocauste dans la vie américaine, Peter Novick rapporte les propos de spécialistes juifs de la question qui refusent purement et simplement une éducation dans ce sens et préfèrent s'en tenir au travail de mémoire, moyen hypocrite et vain, assurant en pratique une toujours possible résurgence d'une dictature criminelle de ce fait.

En résumé : nous en avons encore pour des siècles à supporter des gnomes au pouvoir et leurs afficionados crétins des alpes, admirateurs de la poigne pour la poigne, parce que la poigne, c'est du solide et de l'éprouvé. Et qu'on préfèrera toujours les bonnes vieilles recettes, même si elles sont synonymes de meurtres de masse.



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Commentaires
M
Oui, ils ont disparu. Mais on ne sait toujours pas pourquoi, ce qui est peu encourageant. Et, à vrai dire, ils étaient assez peu tyranniques (malgré le Tyranosaur Rex) :)
F
bonne réflexion<br /> à méditer<br /> ça me fait penser à Krishnamurti:"dès l'instant où vous suivez quelqu'un vous cessez de suivre la Vérité"<br /> <br /> j'aime bien le mot "tyrannicide" ; ça me fait penser aux dinosaures ; ils ont disparu non ?
M
On peut voir ça comme ça. Mais le pb n'est pas là. Le pb avec l'augmentation des moyens de contrôle c'est que ça abaisse le seuil de la servitude volontaire. Le problème en somme n'est pas le big brother et ses outils (il n'y a PAS de big brother - même le régime nazi était assez peu doué en la matière sur le fond), mais la propension des "sujets" à aduler les moyens de controle en soi, du moment qu'ils sont présentés par une instance de pouvoir. <br /> Donc, on peut se focaliser sur les puces et autres bidules (dont on attend qu'elles adviennent réllement bien qu'elles soient annoncées sous tel ou tel avatar depuis au moins 50 ans), mais la facheuse tendance à applaudir aux demonstrations de force.
E
Tentons un raisonnement ?<br /> <br /> Supposons qu'on constate que la nature humaine, imparfaite, est portée à la guerre, on dira : « c'est un danger, c'est regrettable, mais, sans faire de parano, c'est dû à telle et telle causes, et ça a telle et telle conséquence. »<br /> <br /> Supposons alors que nous soyons au moment où on commence à fabriquer des bombes atomiques de part et d'autre. Ne serait-il pas naïf de continuer à traiter l'agressivité humaine intraspécifique sur le même mode, sans tenir compte du changement de contexte technologique ?<br /> <br /> Voilà où j'en suis : il me semble qu'il est trop facile d'accuser un mécanisme de contrôle unique ou de flipper pour une puce, mais, étant donné les progrès rapides en matière de «réalité augmentée», il me semble qu'il est également trop facile de n'y voir que de la paranoïa...<br /> <br /> Alors ?
M
J'en pense que c'est de la parano à 2 balles. Pas besoin de puce ou d'organe de contrôle, le probleme n'est pas là et ne l'a jamais été. En fait, ça se contrôle très bien tout seul, et c'est bien là l'os.
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