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Mémoires d'un apathique
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23 août 2007

Mauvais livre

On ne dira jamais assez de quelle manière la lecture peut affecter en mal les jeunes esprits. D'ordinaire, seule la télé est sur la sellette, hou la vilaine, la salope, la vérolée ! Certes, je dois admettre avoir vu à la tivi, étant jeune, un épisode de Sherlock Holmes au court duquel Moriarty tentait de tuer son adversaire en lui expédiant des mygales nuitamment. Et que depuis, j'ai une légère phobie de ces dégoutantes bestioles velues. Mais les livres aussi peuvent corroder les imaginaires presque vierges.

La villa de mes grands-parents était un hâvre d'émerveillement, empli de verrières, d'azulejos au kilo et d'aigle bicéphale des Hasbourg en stuc bronzé. Une bulle protectrice qui me protégeait du monde extérieur et de sa méchanceté ontologique. Dans le sens où, tout à ma joie des découvertes perpétuellement renouvellées, je n'éprouvais aucun désir d'en sortir, l'ennui ne pouvant subsister en ce royaume. Bustes, miniature de chateau-fort, grands cactus et terrasses censemment inaccessibles. Sans compter les appentis. Domaine auto-suffisant, génialement autarcique.
Parfois, par dessus le mur mitoyen au caroubier, je discutais avec le garçon de la propriété d'à côté dont j'enviais les immenses palmiers. Il était atteint d'une maladie incurable, et sa présence lente et fragile ne pouvait constituer une menace pour moi. Je me demande d'ailleurs de quoi nous pouvions discuter, je ne parlais que très mal espagnol et lui pratiquement pas le français.

Pourtant, dans ce jardin d'Eden, quelques avancées du mal avaient fait leur nid. Sous la forme apparemment innocente de la bibliothèque rose. Je ne parle pas de la nouvelle bibliothèque rose, mais de la première du nom, aux couvertures de fait plutôt cramoisies. Il y avait là un exemplaire de Sans Famille, d'Hector Malot, digne représentant de toute cette littérature édifiante qui s'étalait sur l'étagère. Il est bien certain que je ne pourrais en lire plus de 3 pages maintenant, mais à l'époque, j'étais terrifié par cet ouvrage - que je relisais evidemment sans cesse, et en particulier par un passage, littéralement traumatique, où le jeune héros va mendier sa soupe et se fait jeter, bien qu'il « ait été bien poli et ait retiré son bonnet avant sa requête ». De mémoire, bien sûr.

Je pleurais comme un veau, et ne pouvait que reparcourir encore et encore ces quelques lignes, qui m'apparaissaient comme une quintessence de ce qui m'attendait dehors. Terrifié par cette perspective et en larmes de ne pouvoir y faire face.

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