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Mémoires d'un apathique
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19 juillet 2007

Subzero is back

Dans un hôpital de campagne en toile, sur le front de l'Est.
Un médecin et 3 infirmiers soignent comme ils le peuvent les éclopés, les manchots et unijambistes auxquels le moignon adhère encore, les septicémies avancées en gangrènes, les bouts de ferraille bien  enfoncés entre  diaphragme et  poumons,  bref  toutes les saloperies d'avant que la guerre ne devienne propre.

Au premier plan, deux blessés légers sur leur civière, deux officiers qui devisent gaiement, avec cette profondeur empesée qu'on retrouve dans les romans de Thomas Mann. Le plus gradé cloperait bien des anglaises avec un fume-cigarette d'ébène, mais ce ne serait pas bien sérieux.

- Voyez-vous Frantz, la mort peut parfois prendre la forme d'une femme douce et belle, à la soyeuse chevelure, aux grands yeux de lac alpin, à la peau de nacre. Loin d'ici, bien sûr. Nous sommes proche d'un des anus mundi, vous le savez je pense. Il n'y a rien dont nous pouvons être fiers, ici. Nous sommes devenus des bêtes, des barbares metallisés qui n'ont plus qu'une poigne frénétique pour écraser leurs adversaires. Des titans parkinsoniens. Je vais vous le dire : nous ne valons pas mieux que les ruskis ...
- Parlez un peu plus bas, herr Sturmbannfürher. Nous ne sommes pas entre médiévistes distingués. Vous faites partie, et moi aussi, des fauves démédullés dont vous déplorez l'irruption sur ce continent. Encore qu'y sommes-nous encore, à si peu de distance de l'Oural ?
- J'ai lu Pouchkine, il y a quelques années. Mon grand-père était en poste à St Petersburg dans les années 1880. C'était l'Europe, croyez-le ou non.
- L'Europe est-elle encore l'Europe, herr Sturmbannfürher ? Quand nous avons regardé tous ces ouvrages brûler, nous avons perdu notre européanité. Ravalés au rang de doryphores haineux, voilà ce quel fut notre sort. Poussés en avant, incapables de diriger le flot des gueules haineuses, tout juste aptes à les contenir dans des défoulements guerriers, qui ne le sont plus, un mensonge que nous nous fimes dans les minutes précédant le sommeil, en vérité de plates boucheries pour individus dénervés - ou sur-nervés.

Et ça continue comme ça, ad nauseum. A la reflexion, on dirait plutôt le journal de Junger.

Pendant ce temps, le médecin gueule : MORPHINE, MORPHINE, il va clamser, celui-ci, 2 injections et vous le foutez dehors. MORPHINE, MORPHINE !
Personne. Pas de réponse.
Putain, mais qu'est-ce que fout ce branleur ?
Et le médecin sort de la tente pour passer un savon à l'infirmier chargé de l'approvisionnement. Et reste médusé.
Il n'y a plus personne dehors. les Russes sont passés sans qu'il s'en soit même aperçu. Ne reste qu'une carcasse de Su-76 déchenillé.  Quelques cadavres.  Pas beaucoup. Quant  à la  Wehrmacht, elle a mis les bouts. Depuis un moment.

C'est à ce moment que Subzero fait son apparition : venu de nulle part et lumineux comme un néon, il passe entre les blessés, les effleure et les soulage ou les laisse partir vers les bienheureux rivages d'une mort opioide. Selon la gravité des blessures. Les infirmiers sont tétanisés, les deux gradés n'ont rien remarqué,tout comme le médecin qui erre dans le champ de boue et de douilles à la recherche d'il ne sait quoi. Subzero sort tranquillement par la porte alors que des souffles apaisés ont remplacé les râles et les hurlements.
Il prend son envol, laissant un sillage phosphorescent en direction d'Alpha du Centaure.

A 200 kms de là, le Maréchal Joukov voit la trainée dans le ciel. Il sait ce qu'elle désigne. Il connait Subzero, dont l'avatar était un jeune pionnier des Komsomols qu'il a fréquenté il y a de cela 20 bonnes années. A son aide de camp qui lui demande s'il faut toujours pointer les bouches à feu en direction de Berlin, il oppose un oui, oui mollasson, pas convaincu. L'autre insiste pendant que le Maréchal fixe, désabusé le stabilo nocturne. Oui, bien sûr que c'est à Berlin qu'on va, pas dans une datcha sur la mer noire, tête de noeud ! L'aide de camp, bien qu'insulté, se sent rassuré par la brusque reprise en main de Joukov.

(Jeu : toi aussi, ami lecteur, écris ta propre histoire en marche, à partir de n'importe quoi, par exemple, d'un torchon sale, d'un briquet vide, et d'une branche d'amandier morte plantée verticalement au sommet d'une dune).

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