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Mémoires d'un apathique
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5 juillet 2007

L'ile

Je devais avoir 8-10 ans. Peut-être moins. Je ne me souviens plus bien. Mes parents m'avaient laissé sur la grève, avec un petit bob sur la tête pour me protéger du soleil, pourtant anémique. Je regardais leur voilier s'éloigner au moteur, balançant son gros cul blanc dans le ressac. Ils étaient attentifs à la barre et ni l'un ni l'autre ne se retournèrent pour me faire un petit au-revoir avec la main, comme on est censé le faire en pareille circonstance.
L'Ile faisait environ 3 kms de long sur moins de 2 de large. Une crotte de  terre grélée de figuiers de barbarie qui squattaient le terrain de manière exclusive et ne laissaient que de minces chemins pour circuler. De toute façon, il n'y avait rien, là-bas, à part la buvette, de l'autre côté. Je suis donc resté un bon moment assis dans le sable à regarder l'écume former des figures incompréhensibles avec le vague sentiment que, par en dessous, les poissons pouvaient y comprendre quelque chose. Mais la faune était inexistante dans ces fonds sablonneux. Et cette alphabétisation piscicole me parut un gros gachis. Tout cela ne me menait pas bien loin, et je me décidais à me lever et à tailler ma route.
La buvette était fermée, verrouillée même. Ce n'était pas encore la saison. Les gros cadenas étaient dissuasifs et je n'avais de toute façon rien pour les forcer. A part quelques blocs de calcaire friables parfaitement inadéquats.  Trouver une barre d'acier relevait du délire. L'Ile était  vierge de tout accessoire un tant soit peu civilisé. Bien sûr, les  flots avaient pu  rabattre sur les grèves les débris de nombreaux vaisseaux naufragés, mais je n'y croyais guère, étant donné la faible superficie de l'endroit. Sans compter que les pièces de métal avaient probablement coulé à pic.  Mais je fis tout de même mon petit tour par les plages ne découvrant en tout et pour tout qu'une mouette crevée que les crabes n'avaient pas commencé à entamer.
De retour à la buvette, je finis par découvrir qu'un des panneaux  était amovible. Pas volontairement, je pense, mais sait-on jamais. Je pénétrais donc dans la fraicheur rance et nauséabonde. A ma grande surprise, les glacières étaient encore pleine de sodas de la saison passée. Le coca tiède allait donc me permettre de tenir en l'absence de source d'eau douce. Seconde merveille, quelques paquets de chips, légèrement éventées. La chasse aux grands herbivores inexistants allait donc pouvoir m'être épargnée. J'estimais mes réserves à une petite semaine. C'était encourageant.
Le lendemain, j'allais à la pointe de l'ile pour voir si le cimetierre était toujours visible. Il l'était, à demi dissimulé par les figuiers de barbarie en pleine phagocytose. Leur victoire n'était plus qu'une question d'années. Dix, au grand maximum. Les tombes, miraculeusement préservées, prenaient le soleil, quelques lézards se faufilaient de ci, de là, affolés par ma présence. Le mausolée de la famille Gomez Herredia était surmonté d'une énorme croix, grimpant à une bonne dizaine de mètres. Une croix crénelée, sciemment, ce qui semblait indiquer un usage second. Une tour de guet, à n'en pas douter. Les Gomez Herredia étaient peut-être les vigies héréditaires de l'ile, chargées de prévenir les insulaires de l'arrivée des pirates barbaresques. Mais y avait-il eu un jour des habitants attentifs au tocsin ? Sur ce moignon rocheux, inhabitable depuis la création du monde ? Mais si ce n'était pas le cas, pourquoi le cimetierre et les tombes ?
J'avais grimpé en haut de la croix et scrutais l'horizon en pure perte, le continent étant hors d'atteinte de ma myopie et les navires inexistants dans ce coin. Je vis bien, à l'extrémité de mon champ de vision, un gros avion qui survolait la mer à très basse altitude, mais ne fit rien pour attirer son attention. Ce ne pouvait être qu'un appareil militaire.
Je rentrais donc à la buvette pour boire mon litre de coca en trois bouteilles laborieusement décapsulées.

Le matin du 3ème jour la barcasse de mon grand-père arriva sur la plage. Il avait un air bougon comme s'il venait d'enfin me retrouver dans une fête foraine au bout de plusieurs heures de recherche et ne m'adressa pas la parole, même lorsque j'embarquai. Nous nous éloignames doucement, poussés par les 5 CV du souffreteux deux temps. A environ 300 metres de la côte, il coupa le moteur, pris un gros couteau à écailler et, me saisissant à l'improviste de sa forte poigne adulte, entailla la chair un peu molle de mon avant bras droit sur toute sa longueur. Je pissais le sang et il me donna un chiffon plutôt crasseux pour enrayer l'hémorragie. Tes parents ont été envoyés à la guerre dès leur arrivée au port. C'est la guerre ? On va s'occuper de toi en attendant qu'ils reviennent. Je savais qu'ils ne reviendraient pas, j'avais vu le l'avion-torpilleur italien chassant au ras des flots et me doutais bien que le transport de troupes avait été envoyé par le fond. Avec ta blessure, et la pourriture qui va se mettre dedans, tu ne risques pas d'être appelé sous les drapeaux. Je lui fis remarquer qu'on n'envoyait pas les enfants de 8 ans au front. Il grommella quelque chose et, un peu honteux, me promis qu'on irait chez le médecin dès qu'on serait en ville.

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Commentaires
M
Ermo> Ben merci, depuis le temps que je trouvais mon orthographe de "cimetière" un peu bizarre, je sais maintenant pourquoi.<br /> <br /> Nikita> Perso, je préfère le fléau d'arme.<br /> <br /> Escape> Dans Gilgamesh, il est dit que les onagres sont des sales bêtes.
E
C'est parce que d'après la Guemara, les pauvres hères errent dans le cimetierre des cimetères : donc on comprend que l'air est lourd.
N
Oui mais à le voir comme ça on pense à un cimeterre. En voilà une belle arme, le cimeterre.
E
En revanche "cimetière" n'en prend qu'un, si je peux me permettre.
M
Pas du tout. Sur le site du ministère de la culture, on trouve : <br /> <br /> Herredia marquis de (vente Herredia, Paris, 1913/04/28, n° 20)<br /> <br /> Et ce n'est qu'un exemple...
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