En terrasse
J'ai essayé d'être créatif. En terrasse. Avé une mousse. Et des clopes. Et un gros cahier à spirales. Tout le matos, quoi... Parce que mon problème, ce n'est pas de ne pas avoir d'idées, mais plutôt d'en avoir trop. Alors, il faut que je me pousse au cul, histoire de finaliser un peu. Et ce n'est pas en restant chez moi, foutoir dépressiogène et malodorant, que je risque de concrétiser quoi que ce soit. Donc, à l'ancienne, au vu et au sus de tout le monde. Avec, vaguement derrière la tête, l'idée qu'une mignonne, subjugée par tant de créativité foutrement romantique, va me brancher et que je pourrais l'inciter à monter chez moi voir ma collection de raretés autographes d'Isidore Ducasse.
En fait, j'en chie comme un russe, car il y a des années que je n'ai pas tenu un stylo, et ma laborieuse écriture ressemble à des graffiti de parkinsonien cocaïné. Sans compter un début de crampe au poignet. Ouais, chochotte, on peut le dire.
Et plutôt qu'une ravissante, voilà qu'un quidam se pointe, en train de parler marketing stratégique dans le portable. Juste à coté de moi, il se pose, l'ignoble. Sauf qu'il n'a pas la dégaine à parler de marketing stratégique dans le poste. A la rigueur, dans le quartier, il peut faire illusion. Mais on ne trompe pas un vieux de la vieille comme moi. Sans compter qu'il a une voix trainante et mal assurée ; neuroleptiques ou héro, je ne sais pas. Ou les deux. Pas que la voix d'ailleurs. Il se lève avec difficulté pour aller prendre sa commande et me demande de veiller sur son cartable. Bon parano comme je suis, je me dis putain un terroriste qui laisse le colis piégé, que va dire ma maman quand on lui rapportera mon corps sous forme de lamelles qui remplissent à peine une soucoupe ? Puis, tout de même ... Al Qaïda ne va pas recruter des largués pareils. Ou alors, ils sont très très forts.
Le mec se pointe avec un pastis et une carafe. Moi, j'écris, fou de joie intérieurement de ne pas être promis à la dispersion en milliers de fragments.
J'écris.
Encore et encore.
Le mec balance le contenu de son verre sur le trottoir.
Rien de grave ; je continue à écrire.
Un bruit immonde. Le mec a rempli le verre avec de l'eau et a glaviotté dedans : il jette le tout sur le macadam.
Faisons comme si de rien n'était.
Il recommence, une fois, deux fois, trois fois.
Puis s'en va.
Je respire un peu, quand même...
Ce que j'ai écrit ? Top secret. Tout ce que je peux dire, c'est que c'est le FBI qui a fait le coup.