Schizo-interview
Du temps où je faisais n'importe quoi quand l'envie m'en prenait (maintenant, c'est fini, je suis papa dans un futur plus ou moins proche, donc sérieux), j'avais décidé de filmer des interviews de gens que je connaissais. C'était très conceptuel : toujours les mêmes questions, pas de coupes au montage, même si l'interviewé mettait deux heures à répondre, et peu ou pas d'interventions de ma part. Pour tout dire, c'est assez chiant à regarder, j'en ai fait l'expérience il y a peu ; en tout cas, plus d'un à la fois. Comme souvent avec les machins conceptuels.
Cette totale liberté de dire ce que qu'ils avaient envie de dire les intimidait au début, puis ils finissaient par se lâcher, d'autant que, sans m'en rendre compte, je leur posais des questions très intimes, bien plus que si je les avais interrogé sur leurs pratiques sexuelles. Ca n'a l'air de rien, mais demander est-ce que tu considères que la vie est plutôt belle ou plutôt moche ? c'est très intime ; ça oblige à parler de soi, au plus profond. Comme quoi, lorsqu'on interroge les gens sur des sujets qui sortent des sentiers battus, loin des thèmes imposés et obligatoires qu'ils ont toute latitude pour réviser, on les voit apparaître dans toute leur singularité [1] et leur fragilité. Il est vrai que, d'une part, il ne s'agissait pas de n'importe qui, mais de gens que je connaissais, donc que j'avais d'une certaine manière choisis, et que, d'autre part, les questions étaient clairement orientées. Mais cela ne change rien à l'affaire. Enfin, le second point.
Dans ces interviews, un des « cobayes » etait un schizophrène (et doit toujours l'être ; il n'y a pas de rémission, que je sache). Certes sous neuroleptiques sévères, mais schizophrène quand même. A l'écran, il a l'air tout à fait « normal », cet homme là. D'un calme et d'une maitrise de soi absolue [2]. Rien de délirant. N'importe lequel des bouffons qui causent dans le poste pourraient prendre des leçons de logique, de culture et de capacité d'analyse chez lui. Mais de toute façon, s'il est fou, on ne va l'écouter, hein ? Schizophrène. Comme John Forbes Nash, prix Nobel d'économie 1994 [3] ...
1 Oui, je sais, c'est une obsession ...
2 Au passage, on peut mesurer le portnawak généralisé du duo comique Deleuze & Guattari et sa schizo-analyse. Mais j'aurais l'occasion de revenir sur le sujet.
3 Comme je suis faux cul : le prix Nobel d'économie n'existe pas ; il s'agit du prix de la banque de Suède, mais j'aurais aussi l'occasion d'y revenir.