En revenant d'hosto (ha ha ha)
Dostoievski m'a toujours puissamment fait chier. Bien entendu on m'a longtemps fait comprendre (et on continue à le faire) que j'étais dans l'erreur, et que Fiodor était un de ces titans de la littérature devant lesquels l'unanimité tire ses feux d'artifices. On m'a mené face au marbre sur lequel est gravé l'acte de reconnaissance par l'Humanité de l'excellence absolue de Fiodor.
Tout cela ne m'a pas convaincu des masses énormément.
D'abord parce que Fiodor, il m'emmerde.
Ensuite parce que ses supporters frétillants ne m'émeuvent pas outre mesure par la justesse de leur goût ou simplement par la présence tout court d'un goût.
Fiodor, c'est un peu comme Mozart. Et je ressort un extrait de commentaire que m'a laissé quelqu'une qui en a (du goût) : [Mozart] La musique des gens qui ne comprennent pas la musique, de même que le bordeaux est toujours le choix des gens qui ne comprennent rien au vin. En résumé, l'admiration pour Fiodor ne vient trop souvent de ce que Fiodor est supposé être admirable.
Parce que Dosto, par exemple, il nous gratifie de longues, longues pages, des dizaine de, où ses protagonistes dissertent à n'en plus finir sur des sujets censemment profonds, mais qui sont autant de poncifs pompeux. Quand j'étais encore au lycée et que nous glandions en salle de permanence, attendant le prochain cours, il y avait toujours un élève, qualifié par les profs de terriblement mûr, et promis à un bel avenir de notable de province, pour, de la même façon, passer en revue tous les clichés immortels ; la vie, la mort, l'engagement, l'amour, la finitude, et autres yaourtières obligatoires. Dosto est d'une certaine manière l'auteur favori de tous les pions de sous-préfecture avec son acharnement à gloser sans conscience du ridicule, à explorer méticuleusement le catalogue des idées reçues.
Il y a un point commun entre Dostoievski et Stephen King, que nul ne semble avoir relevé : la capacité de tartiner 800 pages à partir d'une intrigue qui en nécessiterait 20 grand maximum.
Et puis, je ne sais pas comment dire ... Ses personnages hystériques, ruisselants de supposée profondeur qui ne cessent de discourir, tout cela est terriblement daté ... Je sais bien que les Grands Zoteurs sont intemporels ; c'est ce qu'on nous répétait en classe, alors que nous nous demandions au nom de quoi on nous infligeait du Corneille. Lequel est absolument illisible de nos jours. Sans compter que les salades de Corneille, on s'en fout. Les Grands Zoteurs sont comme tout le reste ; soumis à la corrosion du temps. Leur succès, à l'époque, était lié à une adéquation au zeitgeist. Lorsque ce dernier évolue de telle façon que les considérations des GZ deviennent caduques, le Grand Toteur devient un Noteur Daté. Seule une mystique du Grand Toteur et de son intemporalité parvient, contre toute évidence, à le prétendre encore acceptable pour un lectorat contemporain. Je comprends bien qu'il soit rassurant de croire à la persistance de quelque chose (du talent, en l'occurence) à une époque de sables mouvants, mais c'est une manière un peu infantile de se raccrocher à quelque chose de stable ou supposé tel. Parce qu'évidemment personne ne se soucie de lire des GZ ; il suffit de prétendre qu'ils existent, et que nous ne sommes pas jetés en un monde en perpétuel mouvement, sans attaches. Il serait trop cruel de se mettre à les lire pour s'apercevoir du ridicule de l'illusion et de l'ennui titanesque né de cette lecture.
Il est possible qu'à l'époque, Dostoievski ait été considéré comme une sorte d'idéal-type de l'âme slave, tourmentée et mystique, un peu comme ces violonistes hongrois qui peuplaient la littérature pour mémères. Fiodor était donc une carte postale de la Russie fantasmée en occident. Cela explique peut-être et, entre autres, son succès (d'époque).
Leonid Andreiev est un auteur russe, mort en 1919. Pas contemporain de Fiodor, un peu postérieur. Immensemment populaire dans son pays, si j'en crois une des préfaces. Pratiquement inconnu en France, puisqu'il est édité par José Corti, ce qui est une sorte de preuve par défaut. Pourtant, Andreiev, est un auteur surprenant. D'abord bien meilleur que son exhumation d'un fond de tiroir ne le laissait présager. Ensuite, extraordinairement moderne, tant sur la forme que sur le fond. Bien sûr, certaines de ses nouvelles ont mal vieilli, comme ce roman inachevé dans lequel le diable prend forme humaine pour visiter les mortels, une de ces paraboles fatiguantes pourtant monnaie courante en ces temps archaiques où la pensée de Dieu et du mal hantait les esprits.
Andreiev est un auteur à découvrir, et, de mon point de vue, infiniment supérieur à Dostoievski.
Evidemment, l'on se demande pourquoi l'un chauffe ses pieds au panthéon des GZ et l'autre se les gèle dehors.
Mystère de la postérité.
Comme tout le monde ou presque, j'ai cru en la pensée rassurante que certes les mauvais auteurs pouvaient connaître une gloire mondaine et momentanée, mais que sur le long terme, le bon grain se séparerait de l'ivraie par quelque procédé, il est vrai un tant soit peu magique. Il semble que ce ne soit pas le cas. Ou pas forcement. Après tout du XIXème siècle, en France, on a plutôt retenu Flaubert que Paul de Koch, comme quoi, il semblerait bien que la machine à filtrer fonctionne.
Alors ?
Je ne sais pas en l'occurence.
Ce qui est sûr : Dostoievski m'emmerde. Il est totalement surévalué par des gens qui ne reconnaitraient pas le talent même s'ils le shootaient. Ces mêmes personnes se pâment devant des Grands Zoteurs, reconnus comme tels, et qui s'avèrent effectivement, mériter, au moins en partie, l'idôlatrie fellatrice qu'on leur prodigue. Dostoievski fait partie du club des Grands Zoteurs.
Voilà les données : vous en tirez les conclusions que vous voulez ...